En 2015, le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) a mis exergue, parmi les 10 pays les plus censurés du monde, en Afrique, l’Ethiopie où la compagnie de télécom nationale Ethio Telecom censure régulièrement des sites internet, et l’Erythrée, pays sans aucune élection [1]. En Afrique francophone, très peu de pays ont osé se lancer dans une censure politique par filtrage des adresses des sites, méthode considérée comme associée aux dictatures les plus dures du monde.
C’est pendant la Journée mondiale de la Presse, que l’Etat togolais a demandé à tous les opérateurs télécom du Togo de couper l’accès à des sites de la presse libre et indépendante, en particulier à la société nationale Togo Télécom et à sa filiale Togocel [2]. Quatre jours après le coup de force à la Commission Electorale Nationale Indépendante du mercredi 29 avril, à peu près au moment où le dimanche 3 mai, la Cour constitutionnelle validait des résultats d’un scrutin très contesté, les opérateurs ont coupé les accès depuis le Togo à au moins 13 sites indispensables pour s’informer sur le processus électoral. Depuis la validation des résultats des Procès Verbaux litigieux, sous contrôle militaire, le président sortant ne veut ni manifestations, ni débat sur la manière avec laquelle il a réussi à s’imposer pour un troisième mandat.
Alors que depuis quelques jours, les yeux sont maintenant tournés vers le Burundi, la communication de la dictature togolaise fonctionne à merveille pour imposer internationalement sa version. La mascarade électorale a impliqué des complicités de politiciens africains, que la presse togolaise ne peut interroger. Le président sortant ne veut pas que la presse parle du lien qui l’unit depuis 2005 à Mohamed Ibn Chambas, qui l’avait déjà soutenu lors de son accession sanglante au pouvoir, et qui est venu imposer au nom de l’ONU sa 3e victoire grâce à une élection fraudée. Des fausses informations ont été reprises par des journalistes occidentaux sans que la presse togolaise puisse répliquer. Un silence complice de la diplomatie internationale s’est abattu sur le Togo sans que les journalistes puissent intervenir.
Le site de l’Alliance National pour le Changement du candidat Jean-Pierre Fabre est lui aussi inaccessible. Couper le site internet de son adversaire après une présidentielle est inédit même en Afrique. Couper l’accès aux principaux media indépendants à un moment clé d’une élection est aussi inédit. Techniquement, dans les 20 ex-colonies françaises, il s’agit du premier cas de filtrage des flux sortant http(s) lors d’une élection.
Les rédactions n’ont reçu « aucune notification ni de la HAAC (Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication) ni du gouvernement » [3]. La coupure est hors cadre légal protégeant la presse. Pour l’instant, l’affaire est étouffée par la complexité du processus électoral et les difficultés des démocrates et de la presse pour se faire entendre. Les accès aux sites seront probablement ré-ouverts quand la contestation sera jugée assez désorganisée. Les journalistes togolais resteront dans la peur d’une nouvelle censure.
Les sites censurés connus sont le media du journaliste d’investigation, ancien rédacteur en chef de Tribune d’Afrique, Max Savi Carmel, afrikaexpress.info, le site spécialisé dans la présidentielle, indispensable pour suivre le scrutin, togoelections2015.com, un site de journalistes d’analyse politique, letempstg.com, le site icilome.com, le site de diffusion de vidéos letogovi.com, 3 blogs complémentaires pour comprendre la présidentielle, togoactualite.com, togocity.fr, togosite.com, et 5 autres sites et blogs togoinfos.com, togo-online.co.uk, togovisions.net. ever-togo-diaspora.org, mtn-togo.org, au total 13 sites de media libres indépendants. Dans cette liste figure donc la plupart des sites actifs pour suivre la présidentielle, qui s’exprime entre neutralité et préférence pour l’opposition démocratique.
Alors que la censure des journaux papier est organisée structurellement depuis des années au Nord et au Centre du Togo, la censure d’internet actuelle prive encore plus d’informations les populations de ces régions qui accèdent difficilement à la presse papier indépendante faite à Lomé et très distribuée au Sud, sur ce que pourrait être une élection transparente sans fraudes selon des normes internationales. Ainsi aussi se perpétue le cercle vicieux de la non-information qui permet à la famille Gnassingbé de se maintenir au pouvoir depuis 48 ans.
Le pouvoir togolais améliore ses techniques de répression de la presse : il a arrêté depuis plusieurs années les emprisonnements qui déclenchent les alertes des associations de droits humains internationales pour maintenant affaiblir la presse par des stratégies juridiques et techniques. Dès la coupure, l’association Reporters sans frontières (RSF) a été prévenue. En plus de la défense de la liberté de la presse à un moment clé de l’histoire d’un pays, se joue aussi la compréhension de la valeur actuelle des sites internet africains dans l’équilibre politique africain, de leur rôle indispensable pour la démocratisation du continent, que ce soient les sites les plus professionnels des journalistes d’investigation et d’analyse politique ou que ce soient les nombreux blogs qui fleurissent quand est garantie la liberté d’expression.
Source:Observatoire des Médias pour la Démocratie et la Bonne Gouvernance (OMDG France),
Paris, le 9 mai 2015