Elu à la tête du Nigeria le 31 mars 2015, le nouveau président nigérian hérite d’un pays inquiet, enlisé dans des difficultés quasi-insurmontables. Durant sa campagne, Muhammadu Buhari a promis de s’attaquer aux problèmes à bras le corps et surtout de satisfaire les nombreuses attentes sociales de ses concitoyens. Aura-t-il les moyens de ses ambitions ?
Avec sa première alternance démocratique en cours, le Nigeria vit un moment historique de son existence. Depuis son accession à l’indépendance en 1960, cette ancienne colonie britannique a connu une guerre civile (1967-70) avec plus d’un million de morts, six coups d’Etat et 28 ans de régime militaire.
L’entrée en vigueur en 1990 d’une nouvelle Constitution a jeté les bases d’une démocratie parlementaire et a favorisé l’élection du premier président civil en la personne d’Olusegun Obasanjo, fondateur du premier grand parti politique digne de ce nom, le Parti démocratique populaire (PDP). Au terme de quinze années de règne sans partage du PDP, les Nigérians assistent aujourd’hui à un nouveau tournant de leur vie politique, avec l’élection à la présidence d’un candidat; issu cette fois, de la coalition des partis de l’opposition.
Malgré cette leçon de démocratie, le Nigeria, première puissance économique et démographique de l’Afrique, « reste un géant aux pieds d’argile et le nouveau pouvoir devra réaliser des travaux d’Hercule pour répondre aux aspirations de sa population », a écrit le spécialiste du continent noir Philippe Hugon dans une tribune libre sur le site de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). En effet, le président-élu, l’ex-général Muhammadu Buhari hérite d’un pays miné par de graves problèmes de sécurité, d’inégalités économiques, de corruption et de divisions ethniques et religieuses. Les défis qui attendent le nouveau président sont nombreux. Le succès de son quinquennat dépendra largement de sa détermination à relever ces défis sous peine de voir de possibles crises envahir le pays, comme cela a été le cas au cours des dernières années.
- Boko Haram
La campagne électorale a été dominée par la question de la sécurité qui a constitué, on s’en souveint, la principale cause du report des élections devant initialement se tenir le 28 février. Cet épineux dossier sécuritaire concerne notamment la lutte contre le redoutable groupe terroriste Boko Haramqui sévit dans le nord-est du Nigeria depuis 2009. Les atrocités commises par cette secte d’obédience islamiste, et sa répression aveugle par l’armée, ont fait au moins 13 000 morts et plus de 1,5 million de déplacés. Le président sortant Goodluck Jonathan, candidat malheureux à sa réélection, a été très critiqué, au Nigeria comme à l’étranger, pour son incapacité à stopper l’avancée meurtrière de ces terroristes. C’est seulement récemment que l’armée nigériane a lancé, avec l’appui du Tchad notamment, une offensive militaire décisive contre eux, mais ces avancées arrivant trop tard ont peu profité au sortant.
Muhammadu Buhari qui a échappé à une attaque du groupe terroriste sur un convoi où il se trouvait en juillet dernier, s’est juré d’éradiquer Boko Haram. Soucieux de sauvegarder la souveraineté nationale, il a qualifié d’« humiliante » la nécessité pour le Nigeria de faire appel à des armées des pays voisins pour progresser dans la lutte contre Boko Haram et a promis de donner aux militaires nigérians les moyens financiers et logistiques nécessaires pour vaincre les islamistes. Buhari veut surtout que « le Nigeria retrouve son rôle de pays stabilisateur dans la sous-région ouest-africaine ». Dans sa première allocution depuis son élection, le président élu a confirmé sa volonté de «débarrasser la nation de la terreur» du groupe islamiste.
- Inégalités économiques
Pour de nombreux observateurs, l’émergence du phénomène Boko Haram est étroitement liée à la misère sociale qui sévit dans le Nigeria, notamment dans le Nord, complètement laissé à l’abandon par le pouvoir. Ce sont les jeunes désoeuvrés, plongés dans le chômage, qui viennent grossir les rangs du groupe terroriste, se laissant progressivement contaminer par ses idéologies radicales et intégristes. Plus de quarante millions de jeunes Nigérians sont sans emploi et plus d’un tiers de la population se trouve dans une situation de précarité. D’après les institutions internationales, plus de 60% de la population nigériane vit sous le seuil de la pauvreté.
Les inégalités économiques risquent de se creuser davantage à cause de la chute récente des cours mondiaux du pétrole dont l’économie nigériane est structurellement dépendante. Le Nigeria est le premier producteur d’Afrique d’or noir qui représente 70% des recettes de l’Etat. Le défi dans ce domaine pour le nouveau pouvoir consistera à diversifier l’économie en investissant dans des secteurs générateurs d’emplois.
Les Nigérians qui ont voté pour Muhammadu Buhari espèrent un réel changement. Ils s’attendent à sentir les conséquences de son arrivée sur leur quotidien rapidement, notamment pour la fourniture en électricité, mais aussi en matière de création d’emplois. Sur ce chapitre économique, le nouveau président est condamné à décevoir, d’autant qu’il a peu développé son programme économique durant la campagne et cela constitue un de ses points faibles.
- Corruption
« La corruption n’aura pas de place dans mon administration », n’a cessé de marteler le candidat Buhari. Dans un pays comme le Nigeria où la corruption est endémique et reste la grande préoccupation des électeurs, comment s’étonner que les candidats présidentiels en aient fait l’axe thématique de leur campagne ? Corruption et détournements se trouvent à tous les étages du pouvoir. Les secteurs les plus touchés sont l’armée et l’industrie pétrolière. Si les soldats nigérians ont opposé une faible résistances aux islamistes de Boko Haram, c’est parce qu’ils sont mal armés et mal équipés. L’essentiel du budget militaire est détourné avant d’arriver sur le terrain, affirme un rapport du Chatham House, équivalent britannique de l’IRIS. Selon les observateurs, la corruption n’a fait que s’étendre pendant les années Goodluck Jonathan. Ce dernier a souvent été accusé par les médias d’être impliqué dans des affaires financières louches, dont un scandale de plusieurs milliards de dollars au sein de la compagnie pétrolière nationale.
Buhari, pour sa part, jouit d’une solide réputation d’incorruptible. Mais pourra-t-il empêcher ses alliés réunis dans la coalition qui l’a fait élire, de puiser dans les caisses de l’Etat et de céder aux nombreuses tentatives de corruption.
- Diversité ethnique et religieuse
Cinquante-cinq ans après l’indépendance, le Nigeria reste encore profondément divisé entre ses grands groupes ethniques et linguistiques, dont les trois principales sont les Haoussa (nord) en majorité musulmans, les Ibo (sud-est) en majorité chrétiens et les Yorouba (sud-ouest). A la fracture ethnique s’ajoute la fracture religieuse qui sépare le Nord qui est majoritairement musulman et le Sud à dominante chrétienne, plus prospère et où se trouvent l’industrie pétrolière. Cela dit, les partis politiques sont très mélangés. Que ce soit dans le camp de Muhamamdu Buhari ou dans celui de son adversaire Goodluck Jonathan, les équipes sont composées aussi bien de chrétiens que de musulmans.
L’émergence de Boko Haram et de son idéologie intégriste n’est pas étrangère à la ressurgence des tensions intercommunautaires en politique. Originaire du Nord et de confession musulmane, Buhari a été parfois caricaturé par ses détracteurs comme un fanatique religieux prêt à imposer la charia dans tout le pays. Le président élu mise sur son colistier Yemi Osinbajo, pasteur chrétien et ancien procureur général de l’Etat de Lagos, pour l’aider à jeter des passerelles entre le Nord qui l’adule et le Sud qui doute de sa capacité de s’élever au-dessus des clivages interconfessionnels.
Source:rfi.