Des représentants de partis politiques lors d'une rencontre avec le président du Faso.

LA PARTICIPATION INCLUSIVE AUX ELECTIONS DE FIN DE TRANSITION, CONDITION D’UN BURKINA FASO DEMOCRATIQUE

Point de vue

Le 11 octobre 2015 se tiendront le premier tour de l’élection présidentielle et les élections législatives de fin de transition de notre pays. Certaines organisations de la société civile (OSC), outrepassant le rôle de veille sociale et de tempérance dans les rapports entre les couches sociales qui leur incombe, demandent l’exclusion pure et simple des personnalités qui auraient soutenu la modification de l’article 37 de la Constitution sous le régime de Blaise COMPAORE, ainsi que les militaires et les magistrats en activité, en disponibilité, en détachement ou à la retraite ou ayant démissionné depuis moins de 5 ans à la date de déclaration de leurs candidatures.

Le projet de loi portant modification du Code électoral étant élaboré par le Gouvernement, les représentants des OSC et de certains partis politiques siégeant au Conseil national de transition (CNT) ont pris sur eux de demander l’insertion de dispositions d’exclusion à travers des amendements proposés à la Commission des lois.

Préoccupé par les conséquences socio-politiques des propositions du CNT, le Gouvernement se donne le temps de réfléchir avant de se prononcer.

Cependant, que ce soit du point de vue du droit ou de la légalité, rien ne permet d’écarter des personnalités ou des catégories sociales des élections à venir.

    Ceci est le point de vue d’un citoyen burkinabè parvenu à la rédaction du site d’information www.laborpresse.net et que nous publions dans le sens du débat démocratique.

 

Une parade de militaires burkinabè le 1er Novembre 2013 à Ouagadougou,lors de la célébration du 53è anniversaire de l'armée nationale.
Une parade de militaires burkinabè le 1er Novembre 2013 à Ouagadougou,lors de la célébration du 53è anniversaire de l’armée nationale.
  1. La légalité de la candidature des militaires à des élections

La situation professionnelle des militaires est régie par la loi n°037-2008/AN du 29 mai 2008 portant statut général des personnels des forces armées nationales .

L’article 6 de cette loi dispose que « Il est interdit aux militaires en activité de service d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique.

Les militaires en activité de service désirant s’engager dans la politique sont tenus de demander :

. la mise en disponibilité conformément à l’article 143 de la présente loi, s’ils sont militaires de carrière ;

. la suspension de leur contrat, s’ils servent en vertu d’un contrat.  »

L’article 143 ajoute que « La disponibilité est la situation du militaire de carrière appartenant à l’un des cadres constitutifs de l’armée qui, ayant accompli au moins quinze ans de service dont quatre en qualité de militaire de carrière, est autorisé sur sa demande à quitter l’activité pour convenance personnelle, sans que ce départ ait un caractère définitif.

La décision de mise en disponibilité est accordée par décret présidentiel pour les officiers et par arrêté du ministre chargé des armées pour les sous-officiers.

Le nombre des bénéficiaires de la mesure est limité à cinq pour cent de l’effectif de chaque grade. La durée maximale de la disponibilité est de cinq ans renouvelable une seule fois. Le militaire en disponibilité qui atteint la limite d’âge de son grade est d’office mis à la retraite.

Le militaire en disponibilité n’a aucun droit à solde. Il est autorisé à exercer une activité lucrative.

Le temps passé en disponibilité ne compte ni pour l’avancement, ni pour la pension de retraite, ni pour les décorations.

Le militaire en disponibilité doit demander sa réintégration ou le renouvellement de sa position trois mois au moins avant l’expiration de la période en cours.

En cas de faute grave, le militaire en disponibilité est rappelé en activité et traduit devant un conseil d’enquête ; il peut également être rappelé en activité si les circonstances l’exigent. »

L’on retient de l’article 6 de cette loi que l’exigence majeure qui est faite au militaire qui envisage de se lancer en politique est de se mettre en position de disponibilité, mais non de démissionner comme certains le demandent, parce qu’il peut être rappelé en activité si des circonstances l’exigent en application de l’article 143 sus-cité.

Aucun délai tampon n’est exigé entre la mise en disponibilité et son engagement dans la politique ou sa participation effective à des élections.

La candidature des militaires à des élections est donc légale.

 

Des magistrats du Conseil constitutionnel du Burkina Faso.
Des magistrats du Conseil constitutionnel du Burkina Faso.
  1. La légalité de la candidature des magistrats à des élections

L’article 35 de la Loi organique n°036-2001/AN du 13 décembre 2001 portant statut du corps de la magistrature dispose que « Il est interdit aux magistrats en activité d’être membres d’une formation politique et/ou d’exercer des activités politiques.

Toutefois, le magistrat en activité désirant souscrire à un mandat politique électif doit, préalablement obtenir au moins trois (3) mois avant la date des élections, une disponibilité ou démissionner. Dans ce cas, le magistrat en fin de mandat ou de disponibilité, ne peut exercer des fonctions en juridictions avant l’expiration d’un délai de deux ans. »

La candidature des magistrats à des élections est également de droit dès lors qu’ils se mettent en conformité avec les textes qui les régissent.

Une séance du dialogue politique entre l'ex Chef de l'Etat,Blaise Compaoré,  l'opposition et la majorité qui n'a pas abouti à un consensus.
Une séance du dialogue politique entre l’ex Chef de l’Etat,Blaise Compaoré, l’opposition et la majorité qui n’a pas abouti à un consensus.

 

  1. La légalité de la candidature à des élections des personnalités de la majorité sortante

L’exclusion d’une composante des acteurs politiques de notre pays ne peut être liée à aucune disposition constitutionnelle actuelle. La Constitution du 2 juin 91 se veut inclusive.

Aucune velléité d’exclusion à des élections ne peut également être liée à une disposition quelconque de la Charte de la transition. L’on peut rappeler à ce propos les dispositions du Titre I de la Charte de la transition, qui cite entre autres valeurs de référence de la transition, « le pardon, la réconciliation et l’inclusion. »

Les personnes qui demandent l’application des sanctions à l’encontre des personnalités de l’ex-majorité fondent leurs argumentaires sur la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007, que la Charte de la transition vise dans son préambule.

Cependant, cette charte ne s’applique qu’à travers d’autres textes de même niveau et en adéquation avec la Loi fondamentale et le corpus juridique interne. En effet, si la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance prévoit des sanctions à l’encontre des personnes qui se seraient rendus responsables de changements anticonstitutionnels déterminés à l’article 23, (c’est ce que soutiennent les zélateurs), lesdites sanctions ne peuvent être infligées qu’en conformité avec la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui est antérieure (elle est entrée en vigueur le 21 octobre 1986) à la Charte africaine de la démocratie et de la Gouvernance (adoptée le 30 janvier 2007).

L’article 7 de cette Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose que :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :

  • le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ;
  • le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
  • le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;
  • le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.
  1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l’infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant. »

Cet article n’est d’ailleurs que l’expression transnationale de dispositions contenues dans la Constitution du 2 juin 1991, laquelle dispose en son article 4 que :

« Tous les Burkinabè et toute personne vivant au Burkina Faso bénéficient d’une égale protection de la loi. Tous ont droit à ce que leur cause soit entendue par une juridiction indépendante et impartiale.

Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie.

Le droit à la défense, y compris celui de choisir librement son défenseur est garanti devant toutes les juridictions. »

Dans une société organisée, la sanction est normale et pédagogique. Mais c’est au seul organe judiciaire qu’il revient de constater, de poursuivre et de sanctionner les fautifs en vertu du principe de la séparation des pouvoirs.

Toute autre disposition unilatérale, règlementaire ou législative visant à priver une personne de ses droits pour un motif quelconque est contraire à l’ordre juridique et constitutionnel.

  1. La légalité de la candidature à des élections des personnes qui ont soutenu la révision de l’article 37

Certaines composantes sociales (OSC et partis politiques) reprochent aux députés membres de la majorité sortante d’avoir soutenu la révision de l’article 37 de la Constitution, ce qui à leurs yeux les rend inéligibles pour les élections à venir. Mais, tout parti pris mis à part, le soutien ou le rejet de la révision de l’article 37 n’est rien de plus qu’une question d’opinion.

Or, à propos d’opinion, l’article 95 de la Constitution dispose que : « Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. »

Le soutien de la révision de l’article 37 est bel et bien une question d’opinion politique qui ne constitue pas en soi une faute infamante.

L’article 8 de la Constitution garantit ces mêmes principes de liberté à tout citoyen en des termes sans équivoque comme suit :

« Les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis.

Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur. »

Il est donc constant qu’une poursuite engagée sur la base du délit de révision de l’article 37 ne pourra donner lieu qu’à un non-lieu ou à infraction non constituée.

  1. La question de l’article 37 à la lumière de la Constitution et de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance

Le projet de révision de l’article 37 de la Constitution ne constituait pas en soi un cas de changement anticonstitutionnel cité à l’article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Pour preuve, l’article 10 de ladite charte dispose que :

«……………

  1. Les Etats parties doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum.

…………….. »

En d’autres termes, à défaut de consensus entre les acteurs politiques sur la révision de la Constitution, la Charte préconise le recours au referendum pour les départager.

C’est d’ailleurs pour cela que ni l’Union africaine (UA), ni la CEDEAO n’ont condamné le principe de la révision de l’article 37 en son temps, parce qu’il n’était en rien contraire à notre Constitution.

Mme ZUMA, Présidente en exercice de l’UA qui avait admis la conformité du referendum avec les textes de l’UA, dont la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, avait essuyé des mots durs des extrémistes de la classe politique burkinabè courant année 2014.

Le recours au referendum tel que poursuivi par le régime de Blaise COMPAORE n’était donc contraire ni à l’ordre constitutionnel national, ni aux dispositions des textes supranationaux.

Aussi, quelle peut être la base légale d’une exclusion électorale fondée sur des infractions non constituées ou sur des faits dont l’interprétation est subjective ?

Gouvernement ZIDA I de la transition.
Gouvernement ZIDA I de la transition.
  1. Les tâches de la transition : organiser des élections transparentes

La transition, dans sa nature doit être neutre, et ses animateurs impartiaux. L’exigence majeure qui est faite à notre transition est d’organiser les élections d’octobre 2015 en laissant au peuple le soin de choisir ses gouvernants. C’est du reste la requête légitime des membres de l’ex-majorité en tant que citoyens.

Les membres du CNT ne sont pas des élus. Il ne leur revient donc pas d’outrepasser leurs compétences en privant une catégorie sociale de ses droits par voie législative pour des raisons inavouées.

L’objet du Code électoral est de décliner les conditions de tenue des élections en conformité avec les textes en vigueur de façon à assurer l’équité entre les candidats et la transparence des résultats sortis des urnes.

C’est à cela que tous les acteurs socio-politiques doivent s’atteler en vue de parvenir à une fin de transition rapide et sans heurts.

Il n’est donc pas admissible d’élaborer des lois nouvelles pour écarter des citoyens dans le souci de plaire ou de favoriser certains candidats qui cherchent à vaincre sans péril.

C’est d’ailleurs au vu et en connaissance de déclarations de nature à mettre en péril la paix et la cohésion sociale que le Groupe International de Soutien et d’Accompagnement de la Transition du Burkina Faso (GISAT-BF) a tenu à préciser le 30 mars passé qu’il tient à la tenue d’élections conformes aux dispositions de la Constitution, de la Charte de la transition et du Code électoral notamment dans ses dispositions relatives à l’éligibilité.

Il ne peut en être autrement parce que rien ne permet légalement d’écarter les personnalités de la majorité sortante ou les militaires et magistrats des élections de fin de transition.

Seul le respect des textes peut nous permettre de surmonter les écueils. Soyons justes pour ne pas entrainer notre pays dans une crise socio-politique dont nul ne peut prévoir les conséquences.

L’éligibilité du citoyen est la règle. Son exclusion est l’exception et c’est au juge qu’il revient de le prononcer après un jugement au cours duquel il lui a été donné l’occasion de se faire défendre par les défenseurs de son choix.

Du 24 au 28 mars 2015 ont eu lieu les Etats généraux de la justice couronnés par la signature du Pacte national pour le renouveau de la justice à travers lequel les acteurs s’engagent entre autres à assurer l’indépendance de la justice, à se départir de tout empiètement et d’usurpation de fonction, bref à promouvoir l’Etat de droit.

Le CNT doit faire siennes les énonciations et engagements de ce Pacte national pour le renouveau de la justice.

Drissa SANOU

sanoudris@gmail.com


 

 

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