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DECISION D’INELIGIBILITE DE CANDIDATS :LE CONSEIL PORTE ATTEINTE AU PRINCIPES CONSTITUTIONNELS  ,dixit Drissa SANOU

Point de vue

La décision du Conseil constitutionnel est certes sans recours. Mais il est du droit du citoyen d’en avoir une appréciation critique ouverte, à charge pour les contradicteurs d’en apporter la preuve contraire.

Le 10 septembre 2015, le Conseil Constitutionnel du Burkina Faso a en effet rendu la décision n°2015-026/CC/EPF portant sur les recours de Messieurs Tougouma Voctorien B. W., SANKARA Bénéwendé Stanislas et OUEDRAOGO Ablassé relatifs contre l’éligibilité de candidats à l’élection du Président du 11 octobre 2015 qui a laissé les praticiens du droit perplexes.

Une décision judiciaire doit se fonder sur le droit. Plus que pour les juridictions ordinaires, celle du Conseil constitutionnel, qui est au sommet de la hiérarchie de l’organe judiciaire, doit se fonder sur la Constitution eu égard à ses attributions. Sa partialité dans le règlement des grandes questions qui lui sont soumises conduit tôt ou tard à une impasse préjudiciable à l’ensemble du corps social. C’est pour cela que cette décision n’est pas compréhensible : elle est purement politique.

En effet, la décision rendue contient deux cheminements différents l’un pour sanctionner, et l’autre pour blanchir les personnes visées par les recours au cas par cas selon leur appartenance politique présumée, quand bien même elles sont toutes coupables (s’il faut le dire ainsi) des mêmes faits.

Les motivations avancées par le Conseil dans sa décision reviendraient, dans une affaire pénale, à relaxer le coupable d’une infraction sous le bénéfice du doute ou pour son supposé repentir et à condamner les complices.

Les 4ème, 5ème et 6ème considérants du titre intitulé III DE LA RECEVABILITE de la décision recèlent toutes ses insuffisances et la mesure de la partialité du Conseil constitutionnel, puisqu’il ne vient à l’esprit de personne de penser que les sages ne connaissent pas les principes de la Constitution.

Les 3 considérants de la décision n°2015-026/CC/EPF sont libellés comme suit :

« ……………………..

Considérant que Monsieur Bassolé Djibrill Yipénè sollicite voir le conseil constitutionnel s’auto saisir en vertu de l’article 157 alinéa 3 de la Constitution pour connaitre de la légalité constitutionnelle de l’article 135 du Code électoral ;

Considérant cependant, que l’auto saisine du Conseil constitutionnel, bien que relevant de son pouvoir discrétionnaire, ne peut être exercée pour appréciation d’une loi déjà promulguée ; que ce moyen doit être rejeté ;

Considérant que Monsieur Bassolé Djibrill Yipénè demande également au Conseil constitutionnel, sur le fondement du jugement n°ECEW/OCJ/JUG/16/15 de la cour de justice de la CEDEAO du 13 juillet 2015, de dire qu’il n’y a pas lieu à appliquer les dispositions de l’article 135,4è tiret du Code électoral ; que cependant, le Conseil constitutionnel ne peut tirer conséquence de cette décision pour refuser d’appliquer des dispositions légales toujours en vigueur ;

………….. »

Les considérants appellent de ma part les observations suivantes :

I LE POUVOIR D’APPRECIATION D’UNE LOI DEJA PROMULGUEE

Contrairement à ce qui ressort dans la décision, l’auto saisine du Conseil constitutionnel s’exerce bel et bien pour appréciation d’une loi déjà promulguée.

En effet, dans le principe, la Constitution instaure un contrôle à priori (avant promulgation) des textes législatifs par le Conseil constitutionnel.

C’est l’objet de l’article 155 de la Constitution qui dispose que : « Les lois organiques et les règlements des chambres du Parlement, avant leur promulgation ou leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel.

Aux mêmes fins, les lois ordinaires et les traités soumis à la procédure de ratification, peuvent être déférés au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation. »

En plus de ce mode principal, la Constitution organise également un contrôle à posteriori (après promulgation), parce que des raisons objectives d’abrogation d’un texte de loi en vigueur, donc promulgué, peuvent survenir soit à la suite d’une décision juridictionnelle comme cela est le cas avec la décision de la CEDEAO, soit même pour raison de conflit avec une disposition supérieure.

C’est le contenu de l’article 157 de notre Constitution disposant en son 2eme paragraphe que : « …… Si, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation. Le Conseil constitutionnel se prononce dans un délai déterminé par la loi.

Une loi organique détermine les conditions d’application de cette disposition. »

C’est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance, de soutenir qu’une disposition législative déjà en vigueur porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État ou la Cour de cassation de se prononcer et, le cas échéant, d’abroger la disposition législative.

Cette disposition constitutionnelle a été complétée avec la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel et procédure applicable devant lui modifiée par la loi n°34-2000/AN du 13 décembre 2000 en son article 25.

Ce mode de saisine du Conseil constitutionnel organisé dans notre pays par l’article 175 de la Constitution et l’article 25 de la loi organique du Conseil constitutionnel a été instauré en France par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 sous le terme de question prioritaire de constitutionnalité «QPC».

Depuis lors, le justiciable français jouit de ce droit en application du nouvel article 61-1 de la Constitution qui dispose que :« Lorsqu’à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

Il est loisible à toute personne de se rendre sur le site du Conseil constitutionnel français pour se convaincre que l’institution a ordonné l’abrogation de plusieurs dispositions législatives sur saisine de justiciables pour des questions prioritaires de constitutionnalité « QPC ».

Même en l’absence d’une saisine, notre Conseil constitutionnel est dans son rôle de se prononcer sur toute disposition constitutionnelle en application de l’article 152 de la Constitution du 11 juin 1991.

II LE FONDEMENT DE L’APPLICATION DE LA DECISION DE LA CEDEAO

Le Conseil constitutionnel avait justifié sa décision n°2015-021/CC/EL du 25 août 2015 par le fait que «   l’Etat du Burkina Faso n’a pas mis en œuvre la décision du 13 juillet 2015 de la Cour de justice de la CEDEAO ; que par conséquent, l’article 166 du Code électoral est une disposition qui reste en vigueur ; ».

Il est resté égal à lui-même en disant qu’il ne saurait « …refuser d’appliquer des dispositions légales toujours en vigueur. »

La seule satisfaction est que le Conseil constitutionnel ne conteste pas la décision de la Cour de justice de la CEDEAO, contrairement aux interprétations erronées de certains constitutionnalistes confirmés.

Malheureusement, cette reconnaissance tacite est assombrie par un déni de justice de l’institution qui se couvre derrière les insuffisances de l’Etat pour justifier la non application de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO au lieu d’adopter le cheminement inverse.

En effet, de par la hiérarchie des normes, les textes communautaires sont supérieures aux lois nationales qui leurs sont contraires ; ils s’imposent aux juridictions des Etats membres et s’appliquent directement dans l’ordre interne.

C’est au Conseil constitutionnel, placé au sommet de la hiérarchie judiciaire interne, d’assurer l’unité de l’Etat de droit en veillant à ce que les normes de droit interne (lois et règlements), tout comme celles du droit externe (conventions et traités) respectent la Constitution.

Il lui revenait d’appliquer la décision de la CEDEAO en déclarant l’inconstitutionnalité des articles 135, 166 et 242 du Code électoral au profit du citoyen contre l’abus de la puissance publique l’Etat.

En ignorant cette décision juridictionnelle, le Conseil constitutionnel exprime son mépris de l’autorité de la chose jugée, de la suprématie de la Constitution et de l’Etat de droit.

III L’ILLEGALITE DE LA LOI PORTANT MODIFICATION DU CODE ELECTORAL

Dans le premier considérant du titre intitulé IV DU FOND de sa décision, le Conseil précise « … qu’il est de principe que la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif ; que toutefois, une loi peut toujours prévoir elle-même sa propre rétroactivité. Que l’article 135, 4è tiret du Code électoral dans sa rédaction vise des actes antérieurs à son adoption ; ».

S’il est vrai qu’une loi peut, dans certaines conditions précises, prévoir elle-même sa propre rétroactivité, l’exercice de ce pouvoir est assujetti à 2 conditions :

La première est que l’objet de la loi votée ne porte pas atteinte aux libertés garanties par la Constitution, autrement elle sera forcément anticonstitutionnelle. Or, les dispositions modificatives des articles 135, 166 et 242 du Code électoral portent atteinte à des libertés constitutionnelles ainsi qu’aux Droits de l’Homme tels que la Décision de la CEDEAO l’a relevé et sanctionné.

La seconde est que son objet entre dans les domaines de compétences du Parlement limitativement énumérés à l’article 101 de la Constitution. Or, on le sait, le Conseil national de transition (CNT) a tout simplement outrepassé ses attributions constitutionnelles en insérant dans le Code électoral des dispositions d’inéligibilité à l’encontre de certaines personnes ciblées, sans que ces dispositions limitatives de droits civiques ne trouvent leur fondement dans une décision judiciaire.

Le législateur ne juge pas. Seule la justice aurait pu frapper d’inéligibilité ces personnes par voie de jugement intervenu dans les règles et devenu définitif.

Les articles 135, 166 et 242 du Code électoral constituent de ce fait un empiètement du Conseil national de transition (CNT) sur les compétences de l’autorité judiciaire.

Malheureusement le Conseil dans sa grande partialité est demeuré muet sur ses atteintes à la Constitution et aux Droits de l’Homme.

Si l’on rappelle que dans sa décision n°2015-021/CC/EL du 25 août 2015, il a retenu la supériorité d’une « simple » loi sur une disposition constitutionnelle et a conséquemment appliqué l’article 166 du Code électoral au détriment de l’article 95 de la Constitution qui protège le député dans l’exercice de sa fonction, il est compréhensible que les plus optimistes soient désillusionnés du fait que l’institution juridictionnelle a pris sur lui de donner une valeur constitutionnelle à l’exclusion.

CONCLUSION

Au regard de ce qui précède, l’on peut dire sans se tromper que la décision n°2015-026/CC/EPF du 10 septembre 2015 du Conseil Constitutionnel porte atteinte aux dispositions Constitutionnelles par commission ou par omission, tout comme d’autres décisions précédentes relatives à l’éligibilité de candidats aux élections du 11 octobre 2015.

L’Etat du Burkina a subi une condamnation ferme de la CEDEAO des suites de son refus d’appliquer la décision de la CEDEAO et des sanctions prévues en pareil cas vont bientôt s’appliquer. Le Conseil n’a donc aucune excuse. Qui peut-il encore convaincre de ce que la Cour de justice de la CEDEAO n’avait pas ordonné le retrait des articles 135, 166 et 242 du Code électoral ?

Il n’est pas superflu de rappeler que le pouvoir judiciaire est gardien des libertés individuelles et collectives et qu’il veille au respect des droits et libertés définis dans la Constitution. (Article 125 de la Constitution).

Lorsque de par ses décisions manifestement illégales le citoyen perd confiance en l’institution supérieure du système judiciaire, le gouvernant pourra difficilement le convaincre de la nécessité de respecter l’autorité de l’Etat.

Ce 14 septembre 2015 est la journée internationale de la démocratie. En cette occasion, l’Union interparlementaire (UIP), organisation mondiale des parlements nationaux a rappelé que « La force de la démocratie se mesure à l’aune de la participation des citoyens à la politique. » et qu’ « il faut donc accroître cette participation pour favoriser la paix, la cohésion sociale et le développement dans le monde. »

Il est donc illusoire d’exclure une frange importante de la population des élections de sortie d’une crise politique et prétendre s’acheminer vers des lendemains paisibles.

Ouagadougou, le 14 septembre 2015

Drissa SANOU

Ma plume m’appartient !

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