Dans la station balnéaire de Grand-Bassam, les jours qui ont suivi les élections locales ont été tendus : manifestations dispersées au gaz lacrymogènes, déploiements des forces de sécurité, destruction des estrades installées pour la fête traditionnelle de l’Abissa… Si la tension est retombée depuis, la contestation est toujours là de la part des partisans du maire sortant Georges Ezaley, déclaré vaincu aux municipales par la CEI, et qui désormais placent leurs espoirs dans des recours déposés devant la Cour suprême.
Dans son bureau de la mairie de Grand-Bassam, Georges Philippe Ezaley, candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à sa succession, déploie sur une table les procès-verbaux des municipales qui selon lui prouvent sa victoire le 13 octobre dernier de plus de 1100 voix. Victoire volée par la CEI qui a déclaré vainqueur son adversaire du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), Jean-Louis Moulot, affirme-t-il.
« On a fini le vote. On a comptabilisé par procès-verbaux, les documents sont là. On vient à la CEI, on fait une compilation avec des chiffres qui sont là, vérifiables également. Puis c’est autre chose qui est proclamé à Abidjan. On a été spoliés dans notre histoire en ce qui concerne les résultats. Donc tout de suite, on a commencé à mettre en place toute une série d’actions régaliennes », indique-t-il.
Georges Ezaley a du mal à voir dans la garde à vue de l’une de ses collaboratrices, la semaine dernière, et dans l’audit soudain de son mandat, une coïncidence.
De l’autre côté de la ville, son rival Jean-Louis Moulot a du mal à croire au caractère spontané des manifestations de colère de jeunes et de femmes dans les premiers jours d’après scrutin. Quant aux chiffres, le candidat RHDP ne veut entendre parler que des procès-verbaux consolidés par la CEI. « Le candidat du PDCI-RDA est le seul à avancer un chiffre fantaisiste qui ne repose sur rien puisque les procès-verbaux qu’il brandit ne sont pas ceux de la Commission électorale indépendante, [il] n’ont pas fait l’objet d’une validation. Ils se sont livrés eux-mêmes à des compilations qui ont donné tantôt des taux [de participation] de 107 %, tantôt de 112 %. Pour vous dire que ces procès-verbaux comportent des erreurs qui méritent d’être corrigées dans le cadre de la procédure de consolidation. »
Publiquement, les deux prétendants à la mairie appellent au calme en attendant la décision de la Cour suprême, probablement d’ici plusieurs semaines.
Le nouvel an des N’zima annulé ?
Chaque année pendant deux semaines fin octobre et début novembre, le peuple N’zima célèbre l’Abissa, son nouvel an, dans sa capitale, Grand-Bassam. C’est l’une des fêtes traditionnelles les plus connues et les plus courues de Côte d’Ivoire. L’occasion pour les N’zima de faire leur autocritique, de se dire des vérités, sans tenir compte des rangs sociaux, puis de faire la fête au nom du pardon et de la réconciliation.
Mais compte tenu du climat qui a prévalu après les élections locales à Grand-Bassam, l’Abissa 2018 pourrait ne pas voir lieu. Du jamais-vu ou presque.
A Grand-Bassam en effet, le roi des N’zima fait l’objet de contestation. Dimanche alors qu’il recevait la gouverneure générale du Canada, il a été hué par une poignée de jeunes qui lui reprochent son soutien supposé à Jean-Louis Moulot, aux dernières municipales, contre son adversaire Georges Philippe Ezaley, favori de cette communauté.
Et à l’annonce de la défaite d’Ezaley, il y a deux semaines, les estrades installées pour l’Abissa 2018 ont été incendiées par des jeunes en colère.
Le climat n’est donc pas propice à deux semaines de festivités, estime ce joueur de dames septuagénaire et philosophe : « L’Abissa, c’est une fête de réjouissance et actuellement les populations ont le cœur est meurtri. Donc on ne peut pas se réjouir dans la douleur. »
Le lieu où se doivent se tenir les danses rituelles a été saccagé et doit être purifié. Ensuite les notables décideront ou non d’organiser l’Abissa.
Pour éviter qu’elle ne se tienne pas du tout, ils pourraient opter pour une cérémonie d’une journée seulement. « Si on ne fait pas l’Abissa, il faut procéder à sa réalisation un jour au moins pour ne pas être pénalisé, explique N’Damoulé Binlin du comité d’organisation. Dans ce sens où, quand on n’a pas du tout fait l’Abissa et que tu ne fais pas une cérémonie d’un jour, il faut attendre cinq ans. Evidemment le pardon qui consiste à une catharsis populaire devant tout le monde, on ne le fait pas. Et ça, c’est dangereux pour le peuple. Donc cette année, la particularité est de dire : si on ne peut pas faire l’Abissa parce que les tensions sont assez fortes et peuvent amener des problèmes de sécurité, alors on le fera un jour et l’année prochaine, on reprend immédiatement. »
De mémoire de Bassamois, la dernière fois que l’Abissa n’a pas eu lieu remonte à plus de 50 ans à cause d’une épidémie.
Source:rfi.fr
03 novembre 2018