Profitant de son séjour à Bobo-Dioulasso, le Président du Faso, SEM Roch Marc Christian KABORE a échangé avec la presse nationale sur l’actualité nationale, sous régionale et internationale le 03 avril 2016 sur les 100 jours de sa présidence. L’intégralité des échanges.
Sidwaya(S.) : Vous allez boucler incessamment vos cent jours à la tête de l’Etat burkinabè. Qu’est ce qui a été fait depuis votre investiture?
Roch Marc Christian KABORE (R.M.C.K.) : Les cent jours ne sont pas aussi significatifs pour répondre aux attentes des populations du pays. Mais nous pouvons dire qu’au plan politique, certaines structures ont été mises en place comme le Haut conseil pour la réconciliation nationale et l’unité nationale et celle chargée des reformes politiques. Cela très important. Sur le plan économique, nous avons trouvé un budget adopté par le Conseil national de la Transition(CNT). Nous avons étudié ce budget et avons introduit une loi rectificative au parlement. Nous sommes passés d’un déficit de 229 milliards à 300 milliards parce que les engagements sociaux pris par la Transition n’avaient pas été budgétisés, alors qu’ils devaient être mis en œuvre en 2016. Aussi, le secteur coton qui joue un grand rôle dans l’économie du pays et pourvoyeur d’emploi n’avait pas été pris en compte. Au Niveau de l’éducation, des mesures seront prisses au cours de cette année 2016. Pour le primaire, il est prévu la construction de plus de 1000 classes pour résoudre la question des écoles sous paillotte. Aussi, 2000 nouvelles classes seront construites pour juguler la répartition inégale des écoles dans les régions. 200 CEG, 80 lycées, des centres de formation et des lycées régionaux de formation technique seront également érigés. C’est un effort que nous allons faire. Au niveau de la santé, nous avons mis l’accent sur la mère et l’enfant. C’est ainsi que les accouchements et les césariennes seront gratuits. Nous allons commencer à expérimenter cette mesure dans trois grandes régions avant de les répandre sur l’ensemble du territoire national. Toujours dans le domaine de la santé, nous allons former les spécialistes, les médecins et recruter plus de 16 000 agents communautaires de santé pour sensibiliser sur les questions de la prévention de la santé et de vaccination dans les villages.
S. : Vous avez promis de lutter contre la pauvreté des femmes. Qu’est-ce qui a été fait dans ce domaine ?
R.M.C.K. : Nous avons déjà lancé, au niveau de l’eau potable, un programme de 1100 forages sur l’ensemble du territoire pour parvenir à une situation de zéro corvée d’eau pour les femmes. Des efforts seront également faits dans le domaine de l’agriculture, de l’élevage, et de l’énergie et des télécommunications. Je pense qu’au cours des cent premiers jours, nous avons posé les sillons qui doivent nous permettre de déployer, à partir de 2017, les politiques que voulons mettre en place. Actuellement, nous partons d’un budget qui n’est pas le nôtre. A partir de l’année prochaine, nous serons dans notre budget, nous pourrons vous dire la cadence dans laquelle nous comptons mettre le Burkina Faso pour atteindre les objectifs. Je voudrais vous rappeler que tout récemment, nous avons eu la visite du groupe international de soutien à la démocratie et au développement au Burkina Faso. Ce cadre regroupe également des bailleurs de fonds que nous allons rencontrer à la fin de l’année. Ce qui va nous permettre de voir la contribution de ces partenaires secteur par secteur. Je voudrais préciser que la contribution de nos partenaires ne remplace pas les efforts que nous devons faire au plan local, tant par la mobilisation de nos ressources d’une part, que la qualité de nos dépenses d’autre part. Nous voulons parler de la bonne gouvernance de façon générale.
Le Burkina Faso a vécu au cours de cette année de nombreux évènements comme les attentats terroristes, les écoutes téléphoniques, la nomination de Yacouba Isaac Zida comme ambassadeur aux Etats-Unis et les débats sur les réformes politiques. Quelle analyse le président du Faso fait-il de tous ces évènements ?
R.M.C.K. : Lorsque nous avons dépassé le cap des attentats terroristes, nous avons mis en place une coordination pour faire face à la situation et améliorer le dispositif sécuritaire de façon générale. C’est pour cela, nous avons déployé la sécurité dans les zones sensibles au Burkina pour en assurer la garde. Nous avons également mis en place l’agence de renseignements pour coordonner les renseignements et permettre une fluidité et une rapidité de la circulation de l’information, afin de nous permettre de prendre, à temps, des mesures qui s’imposent. Des informations avaient circulé sur les attentats qui ont eu lieu à Ouagadougou, mais le circuit dans lequel ces informations circulaient était tellement lent que l’information nous est parvenue tardivement. Le risque zéro n’existe pas, même les pays avancés sont victimes des actes terroristes. Au niveau de l’Etat, nous allons développer les moyens nécessaires pour assurer la sécurité des populations. Mais, il faut que les citoyens soient vigilants et changent de comportement en dénonçant tout ce qui est suspect aux forces de sécurité. Quant à la nomination de Yacouba Isaac Zida comme ambassadeur aux Etats-Unis, il faut souligner que les ambassadeurs sont nommés en Conseil des ministres. De ce point de vue, cette instance, que ce soit au tant de la Transition sous mon mandat, n’a pas nommé Yacouba Isaac Zida au poste d’ambassadeur aux Etats-Unis. Nous avons été surpris de découvrir le décret dans le journal officiel du Faso et nous avons mis fin à cette nomination. Nous avons mis en place une commission pour réfléchir aux réformes politiques et il appartient au peuple dont les représentants sont dans la commission, de donner des orientations dans ce sens. Ce qui est sûr, les questions de limitation de mandat ou de deuxième chambre ne sont plus d’actualité et la tendance est à la réduction du pouvoir du chef de l’Etat, en vue d’un équilibrage du pouvoir entre le parlement et l’exécutif.
S. : L’ancien Premier ministre a été fait général de division, comment appréciez-vous cela ?
R.M.C.K. : Vous avez suivi les évènements comme nous. Une loi a été votée au niveau du Conseil national de la Transition. Le président du Faso à l’époque avait élevé son Premier ministre Yacouba Isaac Zida au rang de général. Nous prenons acte. Nous ne cherchons pas à savoir si cela est justifié ou pas, car c’est une autorité qui l’a nommé.
S. : Que pensez-vous des libertés provisoires accordées à certaines personnalités qui seraient impliquées dans le coup d’Etat de septembre 2015?
R.M.C.K. : S’agissant des libertés provisoires accordées à certaines personnalités qui seraient impliquées dans le coup d’Etat de septembre, je crois qu’il faut laisser les autorités judiciaires faire leur travail, car nous évoluons aujourd’hui dans un contexte de séparation des pouvoirs.
S. : Vous avez commandé un audit de la Transition avec un délai de 30 jours. L’ASCE a fini son audit. Que dit le rapport ?
R.M.C.K. : Concernant les audits, l’ASCE a fini son travail. Mais, il est bon de comprendre comment se passe ce travail, parce que de temps en temps on voit dans la presse que les dossiers sont dans les tiroirs, que rien ne bouge. Nous avons commandé des audits. Au niveau de la présidence du Faso, le chef de l’Etat sortant, Michel Kafando, avant même son départ, a commandé un audit. Au niveau des ministères, l’ASCE a fini son travail et a déposé son rapport. La procédure de l’ASCE est simple. Tous ceux qui sont incriminés, doivent recevoir un exemplaire du projet de rapport et doivent répondre, par écrit dans un délai d’un mois à l’ASCE, pour se justifier. Ces réponses sont transmises par le ministre ou le président du Faso à l’ASCE qui, sur la base de ces réponses acceptées ou pas, va confectionner le rapport final et transmettre le dossier, s’il y a suite judiciaire, au procureur du Faso.
S. : Le manque de finance est devenu une chanson des gouvernants. Quelle était la situation du Trésor public quand vous preniez le pouvoir ?
R.M.C.K. : Le Trésor public était toujours en difficulté. Je prends un exemple, à savoir le Programme socio-économique d’urgence de la Transition, qui était prévu pour 20 milliards, n’avait que 10 milliards au niveau du budget. Si vous commencez à construire des amphithéâtres, des logements, des écoles alors que vous n’avez pas toute la somme, vous aurez des chantiers inachevés. L’argent est un véritable problème au Burkina Faso. Nous devons compter sur nous-mêmes avant de compter sur les autres. Comme on le dit, si vous dormez sur la natte de votre voisin, vous dormez par terre.
S. : Vous êtes présentement dans la capitale économique, vous avez promis de relancer l’économie de Bobo-Dioulasso. Est-ce toujours d’actualité ?
R.M.C.K. : C’est une préoccupation. Ce ne sont pas seulement des promesses. Bobo-Dioulasso est un pôle industriel important pour le Burkina Faso. Malheureusement, pour des questions d’organisation, les industries sont toutes déplacées à Ouagadougou. Nous avons annoncé la construction d’entreprises pour que Bobo-Dioulasso retrouve son droit de ville économique du pays.
S. : Le barrage de Samandeni est devenu source de problèmes avec les populations riveraines. Que comptez-vous faire ?
R.M.C.K. : Concernant le barrage de Samandeni, le prochain Conseil des ministres aura à discuter de ce dossier. Samandeni est financé et les populations riveraines n’ont toujours pas été désintéressées. Cela pose des problèmes. Il nous faut absolument trouver des solutions pour désintéresser les populations riveraines. C’est un projet d’agrobusiness qui va aussi permettre de renforcer la capacité d’adduction d’eau de la ville de Bobo-Dioulasso. Nous avons intérêt à ce que ce projet, qui n’a que trop duré, voie le jour.
S. : Sur la question des koglweogo, les Burkinabè sont. Que pense le président du Faso de l’existence de ces groupes d’autodéfense ?
R.M.C.K. : La question des Koglweogo est au centre des discussions et certains pensent qu’ils sont nécessaires et d’autres estiment qu’il faut les supprimer. A notre niveau, deux constats s’imposent. S’il y a au Burkina Faso des organisations d’autodéfense, il y a certainement des causes à identifier. Le premier point est la capacité de l’Etat à se déployer pour assurer la sécurité des Burkinabè sur toute l’étendue du territoire. Le deuxième aspect est la confiance que la population fait à la justice. Il faut être clair. C’est ce qui amène le citoyen à se faire justice lui-même. Nous sommes dans un Etat républicain et personne n’est au-dessus de la loi. Si les individus s’organisent pour aider l’Etat à combattre le banditisme, en collaboration avec les forces de police et de gendarmerie, nous ne voyons aucun inconvénient. Mais, si ces structures doivent se rendre justice en prenant des taxes, ils tombent dans l’illégalité. Nous allons prendre des mesures qui s’imposent. Nous avons dit à l’époque qu’on ne supprime pas quelque chose qui n’existe pas légalement L’Etat doit prendre ses responsabilités et je crois que si l’Etat assurait convenablement la sécurité des populations sur l’ensemble du territoire, il n’y aurait pas eu de koglweogo. Nous n’allons pas laisser continuer les dérives qui sont faites à l’encontre des droits de l’homme et qui pénalisent les citoyens par les tortures et les taxes perçues.
S. : Les organisations syndicales menacent d’aller en grève parce qu’elles exigent la mise en œuvre des engagements pris par la Transition. Quelle réponse donnez-vous à leurs revendications ?
R.M.C.K. : Entre les organisations syndicales et l’Etat, nous ne devons pas continuer à faire des injonctions. Le gouvernement est ouvert au dialogue. Nous l’avons dit et réaffirmé. Le dialogue a été d’ailleurs à la base des solutions que nous avons pu apporter aux préoccupations des travailleurs. Je voudrais dire deux choses. La première est que pour aboutir aux accords avec la Transition, il a fallu le dialogue. La seconde est que cet accord que les syndicats ont signé avec la Transition, n’était pas prévu budget de l’Etat 2016. Les organisations syndicales doivent déjà nous féliciter très sincèrement d’avoir déjà pensé que les engagements du gouvernement de Transition doivent être poursuivis et tenus. Nous allons les rencontrer toujours dans cet esprit de partenariat. Le développement d’un pays ne peut se faire avec des injonctions. Ils devront être conscients que l’Etat ne peut donner que ce qu’il a. Le budget de l’Etat ne concerne pas que les fonctionnaires, il concerne 17 MILLIONS de Burkinabè qui ont des préoccupations de santé, d’école, d’’améliorations de leurs conditions de vie. Au niveau budgétaire, nous sommes au-dessus de ce qui est conseillé au niveau de l’UEMOA. Si nous prenons notre argent pour payer uniquement les salaires, il n’y aura pas de développement. Sachez que l’Etat a le souci de l’amélioration générale des conditions de vie des travailleurs, mais notre volonté doit être accompagnée par le travail de tout le monde pour faire en sorte que nous renforcions nos fonds propres. Si nous le faisons, nous verrons comment nous pouvons améliorer les conditions de travail et d’existence des travailleurs.
S. : Une plateforme a été mise en place pour optimiser la collette des ressources à savoir SYLVIE. Tout juste après sa mise en œuvre, les commerçants menacent d’augmenter les prix. Qu’est-ce qui sera fait pour contenir ces augmentations de prix ?
R.M.C.K. : SYLVIE ne modifie en rien les prix. C’est un épouvantail que les opérateurs économiques brandissent. Cette plateforme a l’avantage d’éviter les transactions frauduleuses. La mise en réseau permet d’éviter ce dialogue clandestin qui favorise la fraude, des ententes sous mains qui enrichissent des individus au détriment de l’Etat. Nous avons dit aux opérateurs économiques qu’ils peuvent avoir le juste bénéfice de leurs actions, mais pas le bénéfice qui se fait au détriment du peuple burkinabè. Nous allons poursuivre ce programme parce qu’il est de l’intérêt du Burkina Faso.
S. : Un mandat d’arrêt a été lancé contre le président de l’Assemblée nationale ivoirienne pour sa présumée implication dans le coup d’Etat de septembre 2015. Que devient ce mandat d’arrêt ?
R.M.C.K. : Concernant le mandat d’arrêt international d’arrêt contre Guillaume Soro, je pense qu’il est toujours en vigueur. Nous avons évidemment emprunté la voie diplomatique pour résoudre cette question. Le mandat d’arrêt contre Guillaume Soro ne doit cependant pas altérer les rapports d’amitié que nous entretenons avec la Côte d’Ivoire. Nos rapports sont excellents et nous travaillons à renforcer la coopération qui existe entre les deux Etats. Nous insistons que la voie diplomatique est celle sur laquelle nous devons progresser. Le seul problème dans ce dossier est que je n’ai pas été saisi et c’est à Cotonou au Benin que j’ai appris cela.
Votre voyage officiel en France fait polémique. Pourquoi avez-vous choisi d’aller en France pour ce premier voyage officiel?
R.M.C.K. : Nous n’avons pas fait le choix d’aller en France. Durant les 100 premiers jours, si nous étions à une situation normale, j’aurai du faire le tour des capitales voisines pour remercier les chefs d’Etat qui sont venus à mon investiture. Je n’ai pas pu le faire. Nous avons reçu la visite du Premier ministre français, Manuel Valls, qui nous a invité à venir en France. La date de cette visite est fixée du 5 au 7 avril 2016. Nous y allons parce que nous discutons des intérêts du Burkina Faso. Il y aura des signatures de convention et ce sera aussi l’occasion de parler de la sécurité dans la sous-région. Nos pays sont engagés contre l’insécurité, mais nous allons demander l’appui de la communauté internationale. Nous allons également discuter avec le secteur privé français.
S. : La France a annoncé le déploiement du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) au Burkina Faso. Est-ce une bonne idée ?
R.M.C.K. : Concernant le déploiement du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), nous avons eu cette information comme vous à travers les médias. Nous avons appris qu’il y aura le déploiement du GIGN au Burkina Faso. Nous ne nous sentons pas concernés parce que le minimum dans cette matière est d’informer les plus hautes autorités du pays et de voir la possibilité ou non de le faire. Toute information que nous apprenons à la radio n’engage que ceux qui font leur déclaration. De façon officielle, nous n’avons pas été saisis sur ce déploiement au Burkina Faso. Nous avons d’ailleurs le même jour dit à l’ambassadeur de France tous nos mécontentements sur cette procédure.
S. : Il semble que la Chine populaire frappe à nos portes alors que nous traitons avec la Chine Taiwan. Quel commentaire pouvez-vous faire ?
R.M.C.K. : Les relations entre les Etats survivent aux hommes. Le fait que le Burkina Faso, après une période de crise importante, est arrivée aux élections, qui se sont déroulées dans la paix et la transparence que personne n’attendait, est un critère plus que favorable sur les relations internationales. Nous avons signé des accords avec la Chine Taiwan, jusqu’à nouvel ordre, ces accords ne sont pas remis en cause.
Source : quotidien Sidwaya