Pékin annonce des réductions de taxes pour stimuler les investissements, mais aussi des projets d’infrastructures visant à relancer la deuxième économie du monde, très affectée par le coronavirus. DALE DE LA REY / AFP

Afrique: la fuite des cerveaux dans le secteur de la santé

Commentaire

La pandémie de Covid-19 n’empêche pas l’hémorragie de se poursuivre chez les professionnels de la santé en Afrique. La fuite des cerveaux pénalise surtout l’Egypte, le Nigeria, le Ghana et l’Afrique du Sud.

Combien de médecins égyptiens ont-ils quitté leur pays en 2020, en pleine pandémie ? Plus de 15 000, selon la presse égyptienne, dont 8 600 entre les seuls mois de mars et mai 2020 selon Arab World News, après l’appel des États-Unis lancé aux médecins du monde entier à postuler pour des visas. Le Syndicat des médecins égyptiens (EMS) indique que 110 000 professionnels travaillent à l’étranger, soit plus de la moitié des effectifs nationaux. Le ministère de la Santé, lui, donne des chiffres encore plus inquiétants : sur les 213 000 médecins enregistrés, seulement 82 000 travailleraient dans le pays – pour la plupart dans la mégalopole du Caire, au détriment des régions.

Sachant qu’un généraliste peut gagner en un an en Arabie saoudite ce qu’il gagnerait en trente ans en Égypte, les calculs sont vite faits pour les candidats au départ. Conséquence, le ratio de médecins pour 1 000 habitants va en baissant. Une anomalie, puisque l’Égypte forme 7 000 médecins par an, mais perd son investissement.

L’atmosphère s’est tendue durant la pandémie, traitée comme une question de sécurité nationale. Alors que 348 médecins sont morts du Covid-19 entre février 2020 et fin janvier 2021, au moins huit médecins déplorant sur les réseaux sociaux l’état du système de santé ont été arrêtés et jetés en prison. Ceux qui se sont plaints de l’absence d’équipements de protection ont été transférés dans des hôpitaux reculés. À l’hôpital de Louxor, en février, aucun gel n’était encore disponible pour se désinfecter les mains.

L’Agence nationale de sécurité (NSA) a fait des descentes dans les hôpitaux pour traquer les médecins absents, qualifiés de « traîtres » et de « déserteurs » par leur hiérarchie et sommés de travailler, même malades. Autant d’éléments qui pourraient alimenter une nouvelle vague de départs après la pandémie.

Au Nigeria, neuf médecins sur dix rêvent de partir

Même scénario au Nigeria, où plus de la moitié des 72 000 docteurs enregistrés exercent en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Afrique du Sud et aux Émirats arabes unis (EAU).

Une catastrophe pour la nation la plus peuplée d’Afrique, qui ne compte que 35 000 médecins pour plus de 190 millions d’habitants, soit un médecin pour 5 000 habitants selon le ministre de la Santé. Il en faudrait dix fois plus pour être aux normes de l’OMS (un médecin pour 600 habitants), et endiguer ce que les Nigérians appellent le « tourisme médical », pour désigner les voyages qu’il faut faire à l’étranger pour se soigner.

Depuis l’apparition du Covid-19, la question des assurances en cas de maladie ou de décès d’un médecin s’est posée. Son montant est passé de 14 à 65 maigres dollars à Lagos, en guise « d’incitation » à aller travailler, alors qu’au Ghana, il s’élève à 4 322 dollars selon le Journal of Global Health.

Selon Africa Check, le Royaume-Uni comptait 5 250 médecins formés au Nigeria en 2018, une hausse de 10% par rapport à 2017. Un sondage organisé en mai 2017 par l’institut NOI au Nigeria a par ailleurs révélé que 88% des docteurs pensent à partir, en raison des bas salaires et des mauvaises conditions de travail (416 dollars par mois dans le secteur public, contre 18 000 dollars mensuels pour un chirurgien dans le New Jersey).

Des investissements en formation faits en vain

Au Ghana aussi, il y aurait plus de soignants à l’étranger qu’au pays. Les chercheurs Frank Nyonator et Ken Sagoe estiment que le pays a perdu 50% de ses effectifs d’infirmiers entre 1995 et 2005. Les incitations mises en place, avec des logements gratuits et des primes, n’ont pas suffi à renverser la tendance. Le pays ne comptait que 3 365 médecins en 2016, soit 1 pour 8500 habitants.

L’Afrique du Sud, elle, représente un cas particulier, en tant que terre de départ comme d’arrivée, depuis la fin de l’apartheid, rapporte RFI. Un nombre non connu de professionnels sud-africains – majoritairement blancs – ont quitté le pays après 1994. Le manque de données fiables pose problème, sur une question très sensible sur le plan politique. Il y aurait 8 000 médecins sud-africains dans les pays de l’OCDE, pour 11 600 généralistes et 4 500 spécialistes établis en Afrique du Sud en 2017. Entre 2005 et 2010, l’Australie a recensé l’arrivée de 500 médecins sud-africains sous visa permanent, et 1770 sous visa temporaire – ce qui laisse penser au chercheur Jonathan Crush dans son étude intitulée Repenser le narratif de la fuite des cerveaux (2019),que les médecins sud-africains vont et viennent entre plusieurs pays, dont le leur.

Un rapport de la Fondation Mo Ibrahim paru en 2018 affirme que 13 584 médecins formés en Afrique travaillaient aux États-Unis en 2015, une hausse de 27 % par rapport à 2005. L’écrasante majorité (86 %) de ces professionnels viennent de quatre pays: Égypte, Ghana, Nigeria et Afrique du Sud. Selon le même rapport, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et le Canada, auraient ainsi économisé 4,6 milliards de dollars en formation depuis 2010, sur le dos des universités de médecine africaines.

D’une manière générale,  la problématique de la fuite des cerveaux de l’Afrique, s’explique tantôt pour la recherche d’une meilleure rémunération mais parfois pour se mettre à l’abri de persécutions politiques.

Oscar Félix Diakité

Laborpresse.net           Dimanche  7 Mars 2021

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