Au Burkina Faso, pour la 1e fois depuis son élection il y a 5 ans, le Président Roch Kaboré envisage sérieusement le retour au pays de l’ancien Président Blaise Compaoré et en fixe même les délais. Cela pourrait se faire au premier semestre 2021. À cinq semaines de la présidentielle à laquelle il est candidat pour un 2e mandat, le chef de l’État burkinabè répond à Ouagadougou aux questions de Christophe Boisbouvier de RFI et de Marc Perelman de France 24.
RFI : Il y a une semaine, quatre otages ont été libérés au Mali en échange de la libération de quelques 200 présumés jihadistes. Parmi eux figure le cerveau présumé d’attaques qui ont eu lieu en 2016 à Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, et ici même à Ouagadougou contre l’hôtel Splendid, le restaurant Cappuccino, on se souvient une trentaine de morts. Quelle est votre réaction ? Est-ce que ça vous révolte ?
Roch Marc Christian Kaboré : D’abord je voudrais saluer la libération des otages, car vous savez très bien que monsieur Soumaïla Cissé qui est le chef de file de l’opposition politique au Mali a été enlevé depuis une certain temps et il était important que l’on puisse aboutir à sa libération. Maintenant, en ce qui concerne la contrepartie, nous pouvons dire que la contrepartie a été payée chère.
Et quand le cerveau de Grand-Bassam et du Cappuccino a été libéré, vous étiez au courant à l’avance ? Vous avez été consulté ?
Non, pas du tout. Nous, on a suivi les évènements comme tout le monde, suivant avec beaucoup d’impatience la libération des otages. Et la contrepartie, nous n’étions pas là-bas, donc je considère que c’est le Mali qui a décidé de pouvoir gérer cette situation de manière à pouvoir libérer les otages.
C’était à Nouakchott lors du dernier sommet de G5 Sahel en juin dernier, quand Emmanuel Macron a dit : « Les Peuls ne sont l’ennemi de personne ». Est-ce qu’il ne pensait pas très fort au Burkina Faso ?
Pas du tout, parce que je veux dire que les Peuls, comme je vous l’ai dit, ne sont pas les ennemis des Burkinabè. Vous pouvez aller dans tous ces pays, partout où vous avez des villages avec d’autres communautés, il y a toujours un chef de la communauté peule dans ces villages. Nous avons une situation qui est née dans une zone, qui est la zone du Sahel, où communément on peut dire que la majorité des personnes qui y vivent sont des Peuls, mais on n’a aucunement une question de stigmatisation des Peuls au niveau du Burkina Faso.
Je veux en venir à des abus qui ont été dénoncés, des abus de certaines de ces milices, mais en juillet, Human Rights Watch a également affirmé avoir découvert au moins 180 corps enterrés dans la région de Djibo dans le Nord, et affirme que c’est l’armée…
Pas du tout.
… qui est à l’origine de ces tueries. Alors cela a créé de l’émoi de la communauté internationale, cela a même poussé des officiels de l’administration Trump à menacer de suspendre la coopération sécuritaire si jamais une enquête indépendante n’était pas ouverte. Alors, votre réaction à ces exactions ? Et est-ce qu’une véritable enquête est menée pour satisfaire la communauté internationale ?
Nous avons dit : jamais nos forces armées… De temps en temps, il peut y avoir des insuffisances, je ne peux pas à 100%… mais je dis que jamais l’armée burkinabè n’osera tuer 180 personnes en une fois pour les enterrer dans des fosses communes. Ça je peux vous donner ma main au feu pour ça, parce que je considère que les questions des droits humains ont toujours été des questions sur lesquelles j’ai été très ferme avec nos militaires, pour dire il faut que nous-mêmes nous fassions en sorte de gagner la confiance des populations. Ce n’est pas possible. Vous savez très bien que dans ces zones, aujourd’hui comme vous l’entendez, vous-mêmes vous le diffusez, des combats entre les milices terroristes se mènent là-bas. Il y a des cinquantaines de morts. Nous n’y intervenons pas, parce que c’est entre eux que les règlements de comptes se font.
Alors, l’ancien président Blaise Compaoré, il y a 18 mois, vous a envoyé une lettre, une sorte d’offre de service. Vous ne lui avez pas répondu, pourquoi ?
Non pas que je refuse la main tendue, là n’est pas la question, mais j’ai dit simplement que nous sommes dans un processus qui est un processus de réconciliation nationale qui a pris son temps. Comme je l’ai dit, la réconciliation n’est pas une course de vitesse. Il faut la faire de manière à ce que les Burkinabè apaisent les cœurs pour que nous puissions ensemble aboutir à quelque chose qui nous permettent d’avancer. Moi, en ce qui me concerne, j’ai dit simplement que nous aurons certainement, après les élections, à finaliser ce processus et je crois que tout le monde pourra rentrer…
Y compris lui ?
… tranquillement au Burkina Faso et ceux qui ont des dossiers en justice se présenteront pour défendre leur dossier à ce niveau. Dans ma vision, en tout cas, je considère que le premier semestre de 2021, si je suis élu, doit nous permettre de régler ces questions-là. Dès 2021. Donc pour nous, on considère simplement qu’une fois que nous aurons terminé avec les élections, nous allons réunir l’ensemble des composantes de notre société pour discuter de cette question de la réconciliation nationale et voir ensemble ce qu’il faut faire. En fonction de cela, la décision sera prise.
Source: rfi.fr
19 Octobre 2020