L’émotion est toujours vive dans le village de Sobane, situé dans la commune rurale de Sangha, dans le centre du Mali, où un massacre a duré plusieurs heures entre dimanche 9 et lundi 10 Juin 2019 le matin. Des corps ont été inhumés lundi après-midi, alors que de nombreuses autres personnes sont portées disparues. Le point sur la situation.
Dans l’après-midi de du lundi 10 Juin 2019, dans le village de Sobane, les victimes de l’attaque meurtrière ont été inhumées. Du monde sur les lieux, notamment des élus, des parents de personnes décédées, ainsi que le gouverneur de la région de Mopti. Sidy Alassane Touré estime qu’il y a beaucoup moins que 95 morts, alors que de leur côté des élus maintiennent les premiers chiffres avancés.
Après l’enterrement, un détachement de l’armée malienne est resté sur les lieux pour renforcer la sécurité. Outre les victimes, il y a des blessés. L’un d’eux a apporté des précisions. L’attaque aurait commencé dimanche vers 17 heures, pour prendre fin lundi vers 3 heures du matin.
« Personne n’a été épargné »
Les assaillants étaient nombreux, plusieurs dizaines. Certains à pied, d’autres à moto. À leur arrivée sur place, les autochtones ont pris peur et se sont réfugiés dans des cases. Alors, les assaillants ont fait usage d’armes (certaines étaient automatiques), avant de mettre le feu à de nombreuses cases avec à l’intérieur des civils. De nombreux autres habitants du village qui abrite environ 300 personnes sont toujours portés disparus.
D’après un rescapé, Amadou Togo, cité par l’AFP, il y avait là, « une cinquantaine d’hommes lourdement armés. Ils ont d’abord encerclé le hameau avant de lancer l’assaut », raconte cet habitant qui décrit des scènes d’horreurs. Plusieurs personnes ont été « égorgées et éventrées », raconte-t-il, « des greniers et du bétail brûlés », poursuit ce rescapé. « Personne n’a été épargné, conclut cette source : femmes, enfants et vieilles personnes ».
Qui sont les tueurs?
Le massacre n’a pas encore été revendiqué. Plusieurs pistes, peu claires, se dégagent.
En condamnant cette attaque, le gouvernement pointe du doigt des « terroristes », sans indiquer à quel groupe il fait allusion. C’est en tout cas le terme employé dans un communiqué diffusé D’après ce document, les auteurs de ce massacre seraient « des hommes armés, soupçonnés d’être des terroristes, qui ont lancé un assaut meurtrier contre ce paisible village ».
Cette option terroriste, certains observateurs l’envisagent également, vu le contexte socio-culturel et la situation géographique. Sobane est un village majoritairement catholique. « L’attaquer peut inaugurer un cycle », indique l’éditorialiste Adam Thiam. Pour lui, l’hypothèse selon laquelle ce village pourrait être la cible d’islamistes venant notamment du Burkina est tout à fait possible.
Autre piste envisagée par certains observateurs: celle d’une vengeance post-Ogossagou. Du nom de cette localité du centre du pays, où fin mars dernier, une attaque d’une grande ampleur contre des habitants à majorité peule, avait fait près de 160 morts… Tous les regards s’étaient alors portés sur une milice d’auto-défense, celle de l’association de chasseurs dogons Dan Nan Ambassagou… Sur le coup, l’Etat avait même promis de démanteler cette milice.
Or, Sobane « fournit l’essentiel des troupes de la milice dogon Dan Nan Ambassagou », relève le journaliste Adam Thiam.
Pour ce dernier, les deux pistes « ne s’excluent pas. La piste de la vengeance Ogossagou est soutenue par le fait que Sobane relève de l’une des communes qui fournissent le plus de troupes à la milice dogon Dan Nan Ambassagou. Il est très exposé parce qu’il est situé dans la plaine, contrairement à l’habitat dogon qui est dans le contrefort des rochers. Et la piste de l’Etat islamique s’appuie sur le fait que Sobane est majoritairement catholique. L’attaquer peut inaugurer un cycle. Nous sommes dans le bassin non musulman du plateau Dogon, avec une majorité de chrétiens et d’animistes. Il serait naïf de croire que cela n’est pas possible au Mali où Daesh a déjà pris pied avec les ex-Mujao Abou Walid Sahraoui et Abdel Hakim, implantés seulement à quelques centaines de kilomètres du plateau Dogon. »
Dans tous les cas, une question se pose : celle de l’efficacité de la réponse sécuritaire. « C’est un échec : qu’est-ce qui a été mis en place pour prévenir de ce genre d’attaque fréquente ? » interroge l’analyste Ibrahim Maïga.
Des corps calcinés, des maisons incendiées, des animaux abattus… Hama Kassogué, l’enseignant du village, n’en revient pas. Il était chez lui, à une quinzaine de kilomètres de Sobane quand l’attaque a eu lieu dimanche soir…
■ Des élus interpellent l’État
Face à la situation, plusieurs élus du Centre sont inquiets. Ils demandent qu’on évite les amalgames, et à l’État de prendre ses responsabilités.
La situation sécuritaire se dégrade dans le centre du Mali, et quand il s’agit de nommer les auteurs des atrocités commises dans le hameau de Sobane, plusieurs élus sont prudents, comme le député de la localité de Bandiagara, situé dans le centre. « Je ne peux pas exactement savoir qui a fait cela », dit Bokari Sangara.
Pour lui comme pour d’autres, les problèmes de terres, d’accès à l’eau, aux pâturages entre populations dogons et peuls sont connus, mais ces deux communautés ne sont pas des ennemis. « Il n’y a réellement pas de problèmes peuls dogons. Il faut faire attention à l’amalgame qui est en train de se poser sur le terrain », poursuit Bokari Sangara.
Mais entre les dogons et les peuls, il y a les jihadistes, et on retrouve des jihadistes peuls et des jihadistes dogons, des bandes armées qui écument la région, et ça pose problème. C’est pourquoi le député élu de Bandiagara demande à l’État malien de renforcer sur place sa présence. Et pour bien faire savoir qu’ils ne sont pas contents, des députés vont convoquer avant la fin de cette semaine des membres du gouvernement malien.
■ Réactions
« Le seuil de l’intolérable est atteint. » Mahamat Saleh Annadif, le chef de la mission ONU au Mali (Minusma), parle d’« un acte de barbarie inqualifiable ». Joint au siège des Nations unies à New York, il dénonce par ailleurs le communiqué de la milice dogon « Dan Nan Ambassagou » qui déclare considérer « cette attaque comme une déclaration de guerre », « déclare la lutte ouverte » et se dit résolue « à verser son sang ».
« Je viens de faire un communiqué et dans ce communiqué, j’ai mis en garde cette milice. Je lui ai dit que nous ne tolérerons jamais cet appel à la violence. Et nous les mettons en garde. Nous sommes présents sur le terrain, nous avons déjà pris des mesures pour qu’il n’y ait pas de représailles. Mais le risque existe. Il y a des risques réels. Il y a des risques de représailles, c’est clair. La guerre civile, c’est quoi ? La guerre civile, c’est quand des communautés qui s’ entre-tuent entre elles. Il faut tout faire pour l’éviter. C’est pour cela que j’ai dit, le seuil de l’intolérable est atteint. Il faut l’arrêter. »
« Faire confiance à la résilience des communautés. » Pour l’éditorialiste Adam Thiam, auteur du rapport de 2017 « Centre du Mali : enjeux et dangers d’une crise négligée », le ton est inquiétant. Il appelle les autorités maliennes, la Minusma, la force Barkhane, la société civile et les politiciens à renforcer leur mobilisation militaire et en faveur du dialogue intercommunautaire d’urgence.
« Ce communiqué de Dan Nan Ambassagou utilise des termes très forts, très musclés. Normalement, c’est une milice dissoute par l’État. Sur le terrain, ça n’est pas le cas. Si Dan Nan Ambassagou effectivement applique le contenu de son communiqué qui est une menace, nous pouvons craindre une déflagration, un conflit généralisé et c’est ce qui pourrait effectivement amener à une guerre civile. Je pense qu’il faut faire confiance un peu à la résilience des communautés. Les Dogons et les Peuls vivent ensemble depuis des siècles. Ils ont tissé entre eux beaucoup de compromis. Ils ont des économies qui ne sont pas concurrentielles, mais complémentaires. Il y a eu beaucoup de brassages entre les deux ethnies. Cela peut encore sauver la situation. Mais il faut que l’État également, et les partenaires qui sont sur le terrain, bougent et bougent très vite », alerte le spécialiste.
Source:rfi.fr
11 Juin 2019