INTRODUCTION
L’histoire politique du Burkina Faso est assurément longue, riche, et mouvementée. La première décennie des indépendances fut marquée par le soulèvement populaire du 03 janvier
- Les années 70 furent ponctuées par le militantisme actif des étudiants voltaïques et son impact sur le mouvement syndical. Les trois premières républiques ont été caractérisées par une démocratie de type libéral.
Les années 80 connurent l’expérience de la Révolution Démocratique et Populaire inspirée du marxisme-léninisme, déclenchée le 04 août 1983.
Les années 90 furent celles du retour du pays à une vie constitutionnelle, à travers l’adoption de la Constitution du 2 juin 1991 consacrant la IVe République.
Assurément, notre histoire politique a connu des pages glorieuses, mais elle en a connu
également de sombres. Les différents régimes qui se sont succédé ont laissé un lourd passif, dû à des raisons diverses et essentiellement à la gestion des ressources humaines. Beaucoup de nos concitoyens ont souffert de la marginalisation, des frustrations, des violences multiformes, des atteintes à leur intégrité morale ou physique, et tout simplement à leur vie. L’accumulation de toutes ces atteintes, parfois très graves, aux droits humains, aux libertés individuelles et collectives, ainsi que toutes ces intolérances constituent aujourd’hui l’équation à résoudre puisqu’elles compromettent la paix sociale, la stabilité, l’unité et la concorde nationale.
Aujourd’hui, le Burkina Faso se trouve à un carrefour particulier de son histoire et la responsabilité de tous les citoyens burkinabè est fortement engagée. En effet, notre pays vit une crise multidimensionnelle jamais égalée et essentiellement caractérisée par une insécurité physique et juridique grandissante, une morosité sociale étouffante dont la résultante la plus inquiétante est l’élargissement de la fracture sociale doublée d’une montée de l’intolérance, de l’exclusion, de l’incivisme et de l’orientation du Burkina Faso vers une culture dangereusement différente de celle que nous ont laissée nos ancêtres, à savoir la culture du pardon et du vivre ensemble dans la cohésion sociale et la fraternité.
Cette situation impose alors la réconciliation nationale comme une nécessité impérieuse et incontournable, pour faire face aux divergences et rancœurs accumulées par les Burkinabè. C’est ce qui a conduit à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Ces évènements sont survenus malgré des tentatives de résolution des crises antérieures, à travers la mise en œuvre d’un processus de réformes politiques discutées dans divers cadres de concertation pour garantir leur caractère consensuel. Les échecs enregistrés indiquent clairement que les problèmes sociaux sont devenus très complexes et difficiles à traiter.
Le climat sociopolitique, qui caractérise actuellement le Burkina Faso, met en péril la paix, la stabilité et la sécurité, toutes choses égales par ailleurs ne permettent pas à notre pays de se consacrer pleinement et entièrement à son développement. D’ailleurs, l’envergure de la crise, qui sévit dans notre pays, ne garantit ni la sérénité ni la préservation des droits humains dans une justice équitable et transparente pour permettre aux partenaires et aux investisseurs étrangers de venir s’installer dans le pays des « hommes intègres »,
À la suite de la fracture sociale accentuée par l’insurrection populaire d’octobre 2014, le retour à un climat apaisé tel que le souhaitent tous les burkinabè passe obligatoirement par une réconciliation sincère entre les filles et les fils du Burkina Faso.
Le présent mémorandum est une contribution au processus de réconciliation nationale qui devrait être initiée sans délai dans notre pays. Il présente le contexte et la justification de la nécessité de réaliser la réconciliation nationale au Burkina Faso. Le mémorandum pose la problématique de cette réconciliation au regard des enjeux et des défis actuels en décrivant les différentes approches possibles pour notre pays qui a besoin plus que jamais de se définir un nouveau destin commun et ainsi offrir un avenir meilleur aux générations futures de Burkinabè.
- CONTEXTE ET JUSTIFICATION
Le Burkina Faso est l’un des pays africains qui, malgré sa jeunesse, a connu une vie politique riche d’expériences. Celle-ci est faite de vies démocratiques intenses entrecoupées par des ruptures de l’ordre constitutionnel et l’instauration de régimes d’exception caractérisés par des entorses graves aux droits humains. Malgré une longue période de vie constitutionnelle que le pays a connue depuis 1991, bien des difficultés subsistent dans le vivre-ensemble des citoyens Burkinabè. Tout comme sous les trois premières Républiques, la nature de ces difficultés est telle qu’il a été nécessaire à plusieurs périodes de sa jeune histoire de faire intervenir des processus de réconciliation afin d’apaiser le climat social.
La particularité du processus actuel de réconciliation nationale repose sur le fait qu’il est d’abord consécutif à d’autres processus non aboutis dont il tire les leçons. Il intervient également à la suite d’une insurrection populaire, suivie d’une gestion difficile de la Transition et d’une tentative de coup d’État qui ont certainement accentué la division entre les citoyens et conduit à la perte de l’autorité de l’État et à un incivisme ambiant. Il intervient enfin à un moment où l’idée de réconcilier les Burkinabè pour faire face aux défis du développement économique et social de l’heure est de plus en plus partagée par un grand nombre de citoyens, de plus en plus déçus et fatigués du fait que leurs aspirations au changement et au mieux vivre s’éloignent de jour en jour.
- Contexte
La crise que vit le Burkina Faso aujourd’hui se traduit par un ensemble de facteurs qui imposent la nécessité d’engager un processus de réconciliation nationale sincère. Du reste, les esprits sont de plus en plus favorables à une telle option, même si des divergences subsistent toujours quant à la démarche à adopter, parce que le climat général est délétère.
1) Un climat préoccupant d’insécurité permanente
Si les Burkinabè sentent de plus en plus le besoin de se réconcilier c’est eu égard à la lassitude ressentie face aux effets d’une crise qui ralentit la vie nationale. Cette volonté de réconciliation nationale se manifeste dans un climat où la sécurité des Burkinabè interpelle à l’union de toutes ses filles et de tous ses fils pour combattre le terrorisme sur le territoire national, comme l’a rappelé le Président du Faso SEM Rock Marc Christian KABORE le 15 août 2017, dans sa réaction à l’attaque terroriste intervenue au Café Aziz Istanbul situé sur l’avenue Kwamé N’Krumah.
A cette insécurité physique et matérielle s’ajoute celle sociale et économique. En effet la paupérisation ambiante et croissante (déficit de santé, d’alimentation, de perspectives) constitue pour la population une cause majeure d’inquiétude
2) Un climat de méfiance réciproque
La nécessité de la réconciliation nationale s’impose dans un contexte sociopolitique incertain dans lequel l’autorité de l’État peine à s’affirmer. Le plus souvent, cette autorité est simplement remise en cause soit par l’exacerbation des injustices sociales, soit par le manque de crédibilité de l’État ou l’incapacité de celui-ci à répondre efficacement aux besoins croissants des citoyens. Ainsi, les aspirations non satisfaites des citoyens ont développé un climat d’incivisme préoccupant et contribué à détériorer davantage la qualité du vivre-ensemble, du véritable patriotisme et de la solidarité entre Burkinabè.
À cela s’ajoute la dégradation des rapports entre l’État et les partenaires sociaux. Cette dégradation se traduit par la multiplication des tensions sociales faites de diverses revendications, des protestations, d’atteintes répétées aux droits des citoyens et des difficultés de l’institution judiciaire à dire le droit en toute transparence et indépendance.
Du reste, après les espoirs suscités par la tenue des élections de novembre 2015, le peuple est retombé encore dans un pessimiste perceptible, du fait qu’aucun gage de réconciliation nationale et d’apaisement n’est désespérément visible à l’horizon.
En outre, la situation est caractérisée par une altération de la vie politique qui se traduit par une gouvernance contraire à l’esprit républicain de concertation La rupture de confiance est observable tant dans les rapports Etat citoyens qu’au niveau des acteurs politiques.
Et si aujourd’hui, après l’insurrection et la Transition, le Burkina Faso vit toutes sortes de crises, et en est à se poser des questions sur ce cycle infernal ; c’est tout simplement que la réconciliation est une nécessité impérieuse et incontournable et même la seule et unique alternative dont dispose notre pays pour résoudre définitivement et de façon sincère la crise actuelle, même si certains n’en voient toujours pas l’intérêt. Ces derniers, faisant abstraction de la réconciliation nationale, parlent exclusivement de sanctions et de punitions à prononcer, de réparations à faire et de justice à rendre.
Dans le besoin de réconciliation nationale, la justice est acceptée par tous comme le dénominateur commun. La difficulté réside dans le choix du type de justice qui doit être retenue pour encadrer ce processus : justice classique ou justice transitionnelle.
3) Une politique économique inadéquate
Le Burkina Faso est un pays avec de faibles capacités économiques, donc dépendant de l’extérieur. Les opportunités sur le marché mondial sont malheureusement mal exploitées du fait de mauvais choix, privilégiant certains secteurs ou certains citoyens au détriment d’autres, alors que l’endettement dans lequel le pays s’enfonce sera payé par les générations présentes et à venir.
Par ailleurs, l’absence d’impact sur le vécu quotidien des populations donne le sentiment d’un mépris total à l’égard de leurs préoccupations.
4) La perte de nos valeurs cardinales
Les Burkinabè ont toujours été respectés pour leurs valeurs intrinsèques que sont l’intégrité, la probité, le patriotisme, le travail, le respect mutuel, le respect du bien public, la tolérance, la solidarité et le pardon. Aujourd’hui, les nouveaux comportements rétrogrades comme la violence, l’incivisme, les revendications identitaires, compromettent la cohésion sociale, l’unité nationale ainsi que le vivre ensemble d’où la nécessité de faire revivre ces valeurs cardinales en vue de refonder le vivre ensemble et l’unité nationale.
- Justification
Le présent mémorandum se veut être une contribution à la recherche de solutions pour une réconciliation nationale, sincère et définitive. Il tente de mettre en évidence les enjeux et défis qui imposent un besoin de réconciliation nationale entre les filles et les fils du Burkina Faso, avant de justifier la nécessité d’engager un processus consensuel et définitif de réconciliation nationale. Il s’agit essentiellement de répondre à la question du pourquoi se réconcilier ?
1) Une réconciliation pour résoudre les antagonismes
L’unité et la cohésion sociale des Burkinabè, qui se manifestent à des occasions représentant un enjeu national, sont de plus en plus menacées. Il est difficile de nier que le vivre-ensemble au Burkina Faso connaît des difficultés certaines. De la ville à la campagne, les Burkinabè ont de plus en plus de mal à s’accepter et à vivre ensemble et cela n’est pas seulement le fait de la politique, même si l’on sait qu’elle en est un facteur non négligeable.
La culture de gestion des États modernes fait de la pluralité et de la confrontation des idées et des projets de société le socle de la vivacité et de la fertilité d’une démocratie. Cette volonté, qui a été la substance de la vitalité démocratique sous la Première et la Seconde République, a été réintroduite dans les normes nationales depuis le retour à l’ordre constitutionnel normal intervenu en
1991, à travers la Constitution du 2 juin 1991, les lois régissant la gestion de l’État et les règlements qui en découlent. Elles ont fait du Burkina Faso un État de droit avec une option de gestion fondée sur les principes de la gestion publique moderne depuis l’amorce de la modernisation de l’État en
1998.
En dépit de toutes ces précautions, le combat politique n’est pas resté confiné à la confrontation des idées. En effet, une analyse rétrospective de la vie politique nationale démontre de manière
évidente que les antagonismes, en plus d’être idéologiques, ont aussi été personnels ou claniques, avec pour corolaires la violence et les nombreuses vies perdues. Cet état de chose, loin de favoriser une synergie d’actions, une vraie union sacrée pour le développement harmonieux, a toujours été le principal facteur des perpétuels recommencements auxquels notre pays est soumis. Ainsi, il a toujours impacté tous les aspects de la vie nationale.
L’expression des contradictions, sous la forme de divergences politiques inconciliables jusqu’à leur traduction en violences multiformes, a eu un impact négatif sur la cohésion sociale. À ce jour, elles continuent d’être exploitées par les uns contre les autres et d’alimenter les rancœurs. Malheureusement, ces contradictions ont engendré des drames qui ont jalonné la vie publique nationale, altéré la paix, la cohésion sociale et le vivre-ensemble.
Pour éviter que ces antagonismes continuent de faire du mal à notre pays et d’entamer la qualité de notre vivre-ensemble, il y a lieu qu’ils soient examinés à travers un processus de réconciliation nationale sincère et définitif qui pourrait conduire à une paix sociale et à une stabilité véritables. Ce sera l’occasion pour le peuple de passer en revue et d’examiner le lourd passif des exactions diverses commises et dont les résultats les plus saillants sont connus de tous.
2) Une réconciliation pour solder un lourd passif
Au nombre des points saillants qui constituent le lourd passif qu’ont engendré les contradictions, figurent :
La question de victimes des violences en politique de 1960 à nos jours, notamment les crimes de sang,
La question des crimes économiques de 1960 à nos jours ;
La division des burkinabé en deux catégories: les insurgés et les non insurgés
L’exclusion opportuniste et sélective opérée sous la Transition en 2015;
La situation des victimes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et du Coup d’État manqué du16 septembre 2015 ;
L’exacerbation des conflits identitaires et communautaires ;
L’existence de prisonniers et d’exilés politiques ;
L’instrumentalisation de la justice notamment les Tribunaux d’exception (Justice militaire et
Haute Cour de justice) ;
La propension de la violence en politique traduite sous forme d’incendie, de pillage et de saccage de biens privés et publics ;
L’insécurité sans précédent et la menace terroriste de plus en plus croissante;
La situation économique difficile du pays et les tensions sociales ;
Les difficultés de fonctionnement du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale
(HCRUN) ;
L’échec des expériences antérieures de réconciliation nationale.
3) Une réconciliation justifiée par les échecs des tentatives antérieures
Depuis la première République, notre pays a connu des expériences en matière de réconciliation nationale. C’est la preuve que tous les régimes qui se sont succédés dans la gestion du pays, depuis l’indépendance, n’ont jamais fait mystère de leur prise de conscience sur la question. C’est pourquoi, ils ont tous tenté de résoudre le problème à travers un processus de réconciliation nationale avec des variantes.
L’histoire retient que l’idée de réconciliation nationale remonte à la Seconde République (1970-1974), à la suite des arrestations et procès politiques qui suivirent la chute de la Première République, avec leurs lots de frustrations. Elle fut traitée à cette période dans le cadre d’une Commission Spéciale. Il faut noter que les traumatismes les plus importants et jusque-là inédits dans leur violence, qui fixeront dans les mémoires la problématique de la réconciliation nationale, viendront du Conseil National de la Révolution (CNR), du Front Populaire et sous la 4ème République. Malgré tout, c’est sous cette dernière que des réponses seront proposées aux différentes controverses et crises sociopolitiques.
Une tentative de réconciliation nationale a aussi été portée par les Autorités de la Transition qui ont mis en place une Commission de la Réconciliation Nationale et des Réformes Politiques (CRNR). À la suite des travaux de cette commission, un certain nombre de recommandations ont
été faites dont entre autres, celle sur la mise en place du Haut-Conseil de la Réconciliation pour l’Unité Nationale (HCRUN), installé en 2016. À ce jour, le HCRUN reste la seule solution proposée par l’État pour la réconciliation nationale.
4) Des échecs induisant l’exploration d’une nouvelle approche pour la réconciliation nationale
Depuis des décennies, la question de la réconciliation nationale revient de façon récurrente. Elle a été abordée sous plusieurs formes:
– Révision des procès TPR,
– Retour d’exilés politiques,
– Forum de la réconciliation nationale,
– Commissions indépendantes d’enquête,
– Collège de sages,
– Commission de concertations des partis politiques et de la société civile,
– Commission pour la réconciliation nationale,
– Commission de mise en œuvre des recommandations de la Commission pour la réconciliation nationale,
– Ministère chargé de la Réconciliation Nationale et des Réformes Politiques,
– Fonds d’indemnisation des personnes victimes de la violence politique,
– Journée Nationale de Pardon,
– Conseil consultatif sur les réformes politiques,
– Initiative de médiation de personnalités autosaisies ,
– Commission de réconciliation nationale et des réformes,
– Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale,
– Commission d’Enquête Indépendante.
L’échec des tentatives antérieures de réconciliation nationale et les difficultés de fonctionnement du HCRUN constituent des raisons suffisantes pour l’émergence de solutions nouvelles afin de répondre au besoin de réconciliation manifesté par le peuple. Ainsi, dans un esprit de pardon, de tolérance, de justice et de fraternité, toutes les filles et tous les fils du Burkina Faso doivent s’accorder, à œuvrer de concert pour assurer :
La paix, la cohésion sociale et la concorde nationale, facteurs d’une meilleure qualité du vivre- ensemble ;
La sécurité, et le développement inclusif, gages de stabilité ;
Le dialogue social, la relance de l’économie et une meilleure redistribution des richesses nationales ;
Les réformes politiques et institutionnelles consensuelles ;
La mobilisation de toutes les composantes de la Nation pour la défense de la Patrie et de ses intérêts ainsi que pour le développement du pays.
Pour ce faire, il nous faut relever des défis importants à savoir :
Se munir d’une réelle volonté et d’un courage politique d’aller à une réconciliation
Nationale, sincère et définitive;
Créer les conditions pour l’avènement d’une justice équitable, transparente, indépendante, réparatrice et efficace ;
Obtenir le consensus autour de la vision stratégique dans la gestion de l’État ;
Éloigner la compétition politique des batailles de clochers, des égos démesurés, des luttes de leadership nocives à l’unité nationale, des replis infondés et de l’égocentrisme ;
Créer un climat de confiance et de respect mutuel propice au dialogue inclusif;
Organiser un dialogue national ouvert, inclusif et franc sur la réconciliation nationale
5) La démarche de la CODER : une nouvelle approche de la réconciliation nationale
Depuis sa création, le 16 octobre 2016, la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation Nationale (CODER) n’a ménagé aucun effort pour faciliter et réaliser la réconciliation des filles et fils de ce pays. À cet effet, elle a rencontré des acteurs sociopolitiques, des personnes ressources ainsi que des amis et partenaires du Burkina Faso afin d’échanger sur la réconciliation nationale, d’expliquer à l’opinion sa vision et son offre politique.
Cette démarche avait aussi pour but de recueillir la perception, les propositions et les recommandations de ces acteurs de la vie publique nationale. Ainsi, la CODER a eu des audiences avec des autorités religieuses et coutumières, le corps diplomatique, des organisations de la société civile, des syndicats, des hommes politiques et les autorités publiques concernées dont le Chef de l’Etat et le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Conseil Constitutionnel, le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale et des anciens Chefs d’Etat du Burkina Faso.
La CODER et le CFOP ont eu plusieurs séances de travail sur le sujet et ont convenu de conjuguer leurs efforts pour l’aboutissement du processus de la réconciliation.
La CODER a eu des échanges pertinents et fructueux avec le parti au pouvoir, le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) qui a marqué sa totale adhésion à l’initiative ainsi qu’au processus devant conduire à la réconciliation nationale au Burkina Faso
De cette démarche, il ressort que l’ensemble des acteurs rencontrés perçoit la réconciliation nationale comme une nécessité impérieuse et incontournable. En effet, les évènements des 30 et 31 octobre 2014 ont été indéniablement la manifestation de l’explosion du ressentiment occasionné par des frustrations longtemps enfouies. Ces évènements ont mis à nue une fracture sociale profonde et révélé du même coup une crise de confiance entre les différents acteurs de la vie sociopolitique de notre pays.
Les audiences et les entretiens réalisés à cette date permettent de dresser le constat d’une fracture sociale et des divisions provoquées du fait surtout de :
La culture de l’impunité qui démontre que le Burkina Faso a mal à sa justice. Celle-ci se traduit par l’impuissance ou la complicité de la justice face aux crimes économiques et de sang ;
La politisation de l’administration publique et des secteurs socio-économiques ;
La corruption devenue la norme dans presque tous les secteurs ;
L’injustice sociale au quotidien qui accentue la pauvreté de la masse laborieuse ;
Et le chômage endémique surtout des jeunes et des femmes qui sont aujourd’hui la proie des terroristes.
Il est également ressorti la nécessité de matérialiser le processus de réconciliation dont le passage obligé est l’instauration d’un dialogue national ouvert, inclusif et sincère entre tous les acteurs sociopolitiques de notre pays, afin d’éviter de conduire le pays dans une situation plus difficile avec notamment la dégradation de l’économie, l’explosion des revendications sociales multiformes et l’insécurité croissante dans le pays.
- ANALYSE DES CRISES AU BURKINA FASO
À l’instar de beaucoup de pays du monde, et particulièrement d’Afrique, le Burkina Faso est coutumier de situations sociopolitiques délétères. Celles-ci sont sans cesse marquées par une remise en cause des fondements de la gouvernance en général, sur la base de multiples revendications parfois politiques, souvent exprimées sous forme de manifestations pacifiques ou violentes.
- Évolution de la crise sociopolitique au Burkina Faso
Les premières difficultés semblent être nées avec le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 où les contradictions et rivalités sociopolitiques visant parfois la remise en cause des institutions républicaines ont été mises en lumière. Depuis ce temps, les contradictions et les antagonismes ont été exploités et exacerbées, au détriment de ceux qui n’avaient pas le contrôle de l’appareil d’État. Malgré les tentatives de réconciliation nationale intervenues par moment, et du fait surtout de l’échec de ces processus, les crises sociopolitiques engendrées ont connu des dimensions plus ou moins graves selon les contextes et la complexité des problématiques mises en cause. Elles ont conduit à des fractures sociales qui ont impacté négativement le besoin de vivre ensemble.
Plus récemment, les évènements des 30 et 31 octobre 2014 ont mis à nu la soif de justice et la fracture sociale profonde ancrées dans les cœurs des Burkinabè. La question de la modification de l’article 37 de la Constitution a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. De 1960 à nos jours, notre pays a connu des violations manifestes et répétées des droits de l’Homme, des crimes de sang et des crimes économiques aussi cruels les uns que les autres.
Au sortir des élections de novembre 2015, les Burkinabè aspiraient profondément à un changement et à une amélioration de leurs conditions de vie. Malheureusement, les attentes demeurent insatisfaites. Le Burkina Faso vit une crise multidimensionnelle jamais égalée liée non seulement aux problèmes de gouvernance et aux difficultés de la justice à vider les dossiers en instance recensés depuis 1960. A ceci il faut ajouter les inégalités sociales et la mauvaise répartition des richesses nationales.
- L’envergure de la crise sociopolitique au Burkina Faso
Le Burkina Faso vit une crise multidimensionnelle dont l’ampleur est telle que l’on assiste à la dégradation généralisée des rapports sociaux et, partant, de la qualité du vivre-ensemble. Après l’insurrection populaire et la Transition politique qui s’en est suivie, l’on a assisté à la naissance d’une division de fait de la population opposant les citoyens insurgés aux citoyens non insurgés.
Il y a une volonté affichée d’opposer des présumés victimes d’une gouvernance passée à une autre catégorie de citoyens perçus comme les auteurs des crimes consécutifs à la violence en politique. Cette situation sème le germe d’une fracture sociale définitive et dangereuse qui pourrait
être une source de conflit avec des conséquences difficilement mesurables. Cette dynamique est susceptible de déboucher sur une marginalisation d’une grande partie de citoyens au profit d’une minorité de privilégiés, ce qui pourrait accroître la fracture sociale.
Le climat général d’insécurité développé par les comportements inciviques a favorisé la perte de l’autorité de l’État dans tous les secteurs d’activité. Ainsi se sont développées une sécurité et une justice parallèles à celles de l’État, à travers l’implantation anarchique de groupes d’autodéfense qui opèrent sans base légale.
Notre pays, se trouve aujourd’hui à un autre carrefour de son histoire et la responsabilité de tous les acteurs est engagée. Il s’agit de faire le choix de continuer à traîner les années d’impunité, d’injustice et d’exclusion pouvant conduire à une autre situation qui pourrait s’avérer plus grave que la derrière ou d’accepter de s’asseoir et se parler afin de vider les questions qui fâchent, avec courage et responsabilité, pour pouvoir enfin envisager ensemble un avenir meilleur et sans nuage.
La problématique de la réconciliation nationale au Burkina Faso se situe principalement à deux niveaux : apporter un contenu clair au concept de réconciliation nationale et définir la démarche appropriée pour le processus.
III. PROBLÉMATIQUE DE LA RÉCONCILIATION AU BURKINA FASO
Compte tenu de la nature et de l’ampleur de la fracture sociale, il est nécessaire de donner un contenu à la réconciliation nationale dont ont besoin les Burkinabé. Pour ce faire, il convient de garder à l’esprit que le contenu à donner à la réconciliation nationale ne se limite pas au seul fait de la résolution des crimes économiques et crimes de sang engendrés par les acteurs politiques au fil du temps. Mais elle doit aussi intégrer les dimensions culturelles et sociales
- Le paradigme initial de la réconciliation nationale
Depuis l’indépendance à ce jour, la question de la réconciliation nationale a été posée comme une simple question d’antagonismes politiques qui ont opposé des acteurs politiques entre eux. C’est pourquoi la nécessité de réconciliation nationale se posait également en termes simples, c’est-à-dire la résolution de ces antagonismes, à travers la justice sur les crimes économiques et de sang, les réparations et le pardon.
De façon générale, les différents processus de réconciliation nationale initiés par les autorités ont connu une mise en œuvre qui n’a pas toujours été satisfaisante. De tous ces processus de réconciliation nationale, celui qui a fait une ouverture sur la question de pardon, avec l’institution d’une journée nationale du pardon, fixée au 30 mars de chaque année, reste celui entamé en 1999 sous la 4ème République. Il n’en demeure pas moins qu’au bilan, même si la gestion des réparations est quelque peu satisfaisante, la gestion des dossiers par la voie judiciaire pose toujours problème.
En dépit de ces tentatives de résolution, le pays a traîné les effets des antagonismes comme un boulet en ne résolvant pas efficacement les crimes économiques et les crimes de sang qui ont
émaillé l’histoire politique du Burkina Faso. Ayant ainsi fait l’objet de mauvaise résolution, et en l’absence de solutions définitives et pérennes, ces problèmes ont pris un caractère de plus en plus complexe et ont progressivement atteint tous les secteurs de la vie publique.
Malgré cela, le paradigme de la réconciliation nationale est resté collé à l’idée selon laquelle la réconciliation nationale apportera des solutions aux crimes économiques et de sang. Certains citoyens lient la perte de l’autorité de l’État et l’incivisme croissant, à l’absence de solution apportées aux crimes économiques été de sang, à l’injustice et à l’impunité.
- La nécessité de changer de paradigme de réconciliation nationale
Depuis l’expression des besoins de réconciliation, manifestée par les Burkinabé sous les premières Républiques, à ce jour, la non résolution des crimes économiques et des crimes de sang, et l’accumulation des frustrations ont favorisé leur complexification et leur évolution en problèmes plus graves qui ont affecté le vivre-ensemble.
Certains crimes de sang ont évolué vers des problèmes de marginalisation, voire d’exclusion politique, économique ou administrative de citoyens, ou de groupes sociaux. D’autres ont évolué vers des problèmes de sécurité et de défense. Dans tous les cas, ils ont évolué de problèmes de droits ou de simple justice en problèmes de justice sociale. À ce titre, ils ont contribué à remettre en cause la question de l’intérêt général et dégradé la qualité du vivre-ensemble.
Ces problèmes ont donc atteint une complexité et une envergure qui ont impacté toutes les autres sphères de la gestion publique que sont les domaines administratif et économique, et transformé profondément la société sur laquelle elle devrait agir pour assurer une meilleure qualité du vivre-ensemble. Perçus comme tels, l’on ne peut occulter que de simples questions de crimes à résoudre, nous sommes passés à des questions beaucoup plus complexes de gouvernance dont est obligée de tenir compte toute solution de réconciliation nationale, au risque de subir un autre
échec.
C’est pourquoi, au Burkina Faso comme ailleurs dans le monde, expliquer la perte de l’autorité de l’État et l’incivisme par la seule absence de résolution des crimes économiques et des crimes de sang qui ont émaillé la vie publique nationale, semble une gageure dans la restauration de l’autorité de l’État et la réhabilitation de la citoyenneté. En témoignent les multiples tentatives de réconciliation nationale, fondées sur ce paradigme, qui n’ont pas abouti.
Changer de paradigme dans la perception de la réconciliation nationale revient donc à concevoir celle-ci comme un processus holistique à même de résoudre les problèmes initiaux nés des antagonismes et contradictions politiques, ainsi que les effets que leur mauvaise résolution a engendrés. C’est de cette manière que l’on peut s’assurer de mettre en place une réconciliation intégrale et définitive, préalable à une paix sociale durable et une cohésion nationale définitive.
C’est pour toutes ces raisons que la CODER souscrit à l’idée selon laquelle la réconciliation doit aller au-delà de la résolution des crimes de sang et des crimes économiques.
De ce fait, il n’appartient pas à un camp ou à un autre de décider du type de réconciliation qu’il faut pour le pays.
D’où la nécessité de la mise en place d’un cadre consensuel de concertation dont la tâche sera d’examiner la vraie problématique de la réconciliation, en tenant compte des enjeux et défis de l’heure.
Dans la quête d’un modèle approprié de réconciliation nationale, les Burkinabé doivent s’appuyer sur le caractère unifiant et solidifiant des valeurs de pardon, de tolérance et de réconciliation. Celles-ci sont, certes imposées par les contraintes de la vie en commun, aussi bien par le biais des traditions que des pratiques religieuses, mais elles sont de plus en plus intégrées par les États au moyen de mécanismes juridiques consacrés.
- IV. LES APPROCHES DE RÉCONCILIATION PAR LA TRADITION ET LA RELIGION
Cette démarche, tout en s’appuyant sur les valeurs de nos traditions et celles des pratiques religieuses, doit nécessairement tenir compte des écueils qui ont conduit à l’échec des processus antérieurs afin de les éviter.
Les demandes de pardon et de réconciliation, de la part des peuples et des communautés intermédiaires dans les États, ont toujours existé et se sont invariablement et largement exprimées, et de façon pressante, selon les circonstances de temps et de lieux. D’ailleurs l’évidence est qu’aucune société humaine n’a pu se perpétuer sans s’appuyer sur la culture du pardon et de la réconciliation. Le caractère solidifiant et protecteur de ses valeurs s’est imposé par les contraintes de la vie en commun, et par l’influence des religions et des pratiques traditionnelles qui les ont toujours portées.
Dans la plupart des traditions et des religions, le pardon et la réconciliation constituent des poutres maîtresses, des principes et des modes de vie inspirés de Dieu. Le pardon et la réconciliation constituent la base d’organisation de toute collectivité humaine. D’ailleurs consacrés dans bien de religions.
- Les fondements traditionnels de la réconciliation et du pardon
L’arbre à palabre, cette tradition africaine commune à beaucoup de sociétés, consacre toujours le règlement des différends par le pardon et la réconciliation. Les pratiques toujours en cours dans certaines sociétés en sont des illustrations patentes.
Au Burkina Faso, toutes les ethnies connaissent la force du pardon et de la réconciliation, toujours éprouvée du nord au sud, de l’ouest à l’est sous l’arbre à palabre. Nos us et coutumes nous enseignent que seule l’absence de pardon peut compromettre la résolution d’un problème. Dans une société en crise, l’homme devrait avoir instinctivement conscience de l’importance du pardon et de la réconciliation pour contenir toute crise et ramener l’harmonie sociale.
- Les fondements religieux comme soutien au pardon et à la réconciliation
Les religions, pour la plupart, accordent une grande place au pardon et à la réconciliation. Celles-ci influençant par la force des choses (les fidèles aidant), la gestion des collectivités nationales.
Le Burkina Faso est un pays où la force des traditions se vérifie encore. Il reste aussi un pays de croyants attachés aussi bien aux religions traditionnelles qu’aux religions révélées. Le pardon et la réconciliation ne devraient donc pas frapper vainement aux cœurs des Burkinabè.
Du reste, on peut dire que la communauté internationale, en légiférant sur les conflits sous la triple dimension de la prévention, de la gestion et du règlement de ces derniers, montre qu’elle est aussi sous influence de la dynamique du pardon et de la réconciliation véhiculée tant par les traditions que par les religions.
- V. PROPOSITIONS D’UN PROCESSUS POUR LA RÉCONCILIATION NATIONALE
- Du triptyque vérité, justice et réconciliation
Les chemins qui mènent à la réconciliation ne sont pas forcément rectilignes et encore moins linéaires. Si, pour l’Afrique du Sud par exemple, l’on a opté pour la démarche « Vérité et Réconciliation », il faut cependant reconnaître que, pour les dossiers les plus lourds, il a fallu passer par la voie judiciaire. En effet, aucune réconciliation ne peut être durable si la victime n’a pas le sentiment d’avoir eu la justice ou la réparation de la part du bourreau et de l’état.
Le Burkina Faso, en inscrivant son processus dans le triptyque « Vérité, justice et réconciliation », cherche à combattre l’impunité qui, depuis la fin de la Révolution, a entouré les nombreux crimes économiques et crimes de sang. De nombreux Burkinabè, depuis près de trente cinq ans, souffrent dans leurs âmes et leurs chairs pour les violences subies et attendent que la justice puisse un jour les réhabiliter avant de pouvoir faire, pour certains, leurs deuils et pardonner, si possible. Le nombre de victimes est impressionnant car de la Révolution à l’Insurrection, en passant par la Rectification et la 4ème République, les violences en politique ont fait des milliers de victimes directes et collatérales. Un tel traumatisme collectif a besoin d’être soigné pour permettre aux Burkinabè de se pardonner et de se réconcilier.
Dans ces conditions, la Réconciliation nationale est une impérieuse nécessité et un impératif catégorique pour la cohésion sociale et la construction de l’unité nationale. Il s’agit d’une urgence quand on considère la situation sécuritaire dans laquelle le pays se trouve, avec les attaques terroristes et les actes d’incivisme généralisés qui endeuillent les familles burkinabè et non burkinabè.
Toutefois la réconciliation se fonde sur le besoin de vérité. Il faut que les victimes sachent par qui et pourquoi, elles ont été la cible des violences. En soi la quête de la vérité est un outil indispensable pour l’avènement d’une réconciliation sincère et définitive, à condition que ce soit toute la vérité et non pas des simulacres de vérité. La vérité n’est pas forcément celle des pouvoirs publics ni celle de l’opinion en général. La vérité des victimes constitue le point de départ du processus de réconciliation. Il faut donc donner la parole aux victimes et à toutes les victimes, sans exclusion et sans hiérarchie. L’on verra, in fine, que dans les catastrophes de masse, il n’y a pas toujours d’un côté, les victimes, et de l’autre côté, les coupables. Il arrive que les uns se confondent aux autres et que certains, après avoir été des victimes se sont transformés en coupables, et vice versa. Dans ces conditions, il nous faut revoir la notion de vérité. Il ne s’agira plus d’une Vérité immanente (avec un grand « V »), mais d’une pluralité de vérités (avec de petits « v ») dont chaque victime sera invité
à témoigner. La vérité avec un grand « V » sera alors la somme de toutes les vérités de toutes les victimes.
La Justice apparaît comme un impérieux devoir que la société doit honorer auprès des victimes afin de les réhabiliter et de réparer les torts et les préjudices subis. Une justice exclusivement punitive, crée à terme plus de problèmes qu’elle n’en résout. Elle peut revêtir plusieurs formes, l’essentiel étant que les victimes ressentent un certain soulagement après le verdict. Les coupables ont également besoin de la justice car elle leur permet de payer leurs fautes et de ne pas continuer dans l’impunité et le déni. Le sentiment de justice peut différer du rendu de justice, suite à un procès dans un tribunal. Il peut être utile, dans le cas du Burkina Faso de sérier les dossiers en confiant les cas les plus emblématiques aux tribunaux classiques et en confiant les autres cas à la justice transitionnelle existante (Le Médiateur du Faso et le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale) ou à inventer.
Enfin la réconciliation nationale apparaît comme le socle du vivre-ensemble. Elle est le but du triptyque. La vérité et la justice ne sont que les moyens et les modalités par lesquels il faut passer. Mais il faut reconnaître que la réconciliation ne se décrète pas. Il s’agit d’une disposition mentale et spirituelle qui a besoin de temps, de la foi et des gages pour se construire et se consolider. Le temps de la réconciliation est nécessairement long et le chemin qui y conduit est sinueux et plein d’embûches de toutes sortes. Il est évident que la réconciliation n’a pas l’adhésion des extrémistes qui chercheront tous les moyens possibles pour lui faire barrage. Les apôtres de la réconciliation apparaissent dès lors comme des utopistes qui risquent de connaître le sort des martyrs de la part des faucons de la violence et de l’irrédentisme. Les voies qui mènent à la réconciliation ne sont pas toujours rectilignes et encore moins linéaires.
La logique du triptyque selon laquelle il faut la vérité d’abord, la justice ensuite et réconciliation enfin n’est pas toujours vérifiée et ne saurait être considérée comme une règle universelle. Selon les circonstances, les individus et la nature des violences, il est possible que la réconciliation s’obtienne juste après la vérité, sans passer par la justice. Il est tout aussi courant qu’après la vérité et la justice, la réconciliation devienne une impossibilité. L’on peut également obtenir la justice sans la vérité (le cas du procès de Hissène Habré) et en pareil cas, la réconciliation est vouée à l’échec.
Si, sur le plan individuel, le plus important demeure la vérité et la justice, au niveau d’une nation, le plus important demeure la réconciliation nationale. A quoi peuvent bien servir une vérité et une justice qui plongeraient un pays et une nation dans un chaos total ? Le Président du Faso, garant de l’unité nationale, doit prendre en compte ces deux impératifs et œuvrer pour l’intérêt supérieur de la Nation.
Comme le décrit le schéma ci-après, le triptyque Vérité-Justice-Réconciliation est un triangle dont le socle repose sur la réconciliation et les deux côtés sont constitués de la vérité et de la justice. Indubitablement, sans la Réconciliation, la Vérité et la Justice s’effondreront, plongeant la Nation dans le désarroi et le chaos.
- Du processus de la refondation du vivre-ensemble au Burkina Faso
Dès lors que le processus de relecture de l’histoire est acquis, la seconde étape devra être l’élaboration de la Constitution, afin de traduire la volonté de tout un peuple, malgré ses diversités linguistiques et culturelles, de trouver dans son union, un paquet de legs indivis qu’il consent à préserver et à faire valoir. Ce consentement doit être concrétisé par un référendum qui marque l’adhésion de tous au projet commun qui consacre une forme d’État conforme à la volonté réelle du peuple, avec des structures et des normes de fonctionnement adaptées. Ensuite, chaque citoyen dans ce nouvel État doit incarner de nouvelles valeurs qui reflètent une nouvelle citoyenneté déterminée de manière consensuelle.
L’organisation du forum sur la réconciliation nationale, cadre de production d’idées au profit de la renaissance de la Nation et du vivre-ensemble, suivie de la tenue des assises nationales qui vont regrouper des citoyens représentatifs des diversités nationales, est un format adapté pour engager une telle réflexion et valider les choix opérés. Par conséquent, si les grands principes sont déterminés par voie de forum par les participants, il leur faudra être soumis à des assises régionales et nationales pour être amendés et validés, avant toute mise en œuvre.
Dans tous les cas, avec le niveau de déliquescence qu’a atteint le vivre-ensemble, le Burkina Faso ne peut plus faire l’économie d’une telle concertation. Pour ce faire, le forum est une phase du processus de réflexion qui devra :
procéder à un affinement de l’identification des difficultés qui ont entravé le vivre-ensemble ;
répertorier les choix pertinents et efficaces pour résoudre la problématique du malaise du vivre- ensemble du peuple burkinabè ;
tester la validité de ces choix dans le cadre d’un processus de restauration de la qualité du vivre-ensemble.
C’est une démarche qui requiert une grande mobilisation sociale autour des enjeux et défis de l’heure. Pour ce faire, l’adhésion de l’ensemble du peuple burkinabè au processus, en vue de rechercher le modèle de réconciliation nationale et la meilleure façon de conduire ce processus, est nécessaire. En tout état de cause, il est difficile d’entrevoir une autre alternative.
- De la nécessité de convoquer un forum
Très loin dans l’histoire de nos peuples, la redevabilité s’est manifestée sous la forme d’un cadre d’échanges démocratiques qui favorise la prise de décisions, et l’évaluation des défis à relever par tout le peuple. Nul n’est mieux placé que le peuple, pour constater le malaise de notre vivre- ensemble et décider pour l’avenir. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un retour à nos propres valeurs.
Ceci étant, on pourrait alors se poser la question légitime de savoir pourquoi organiser un forum et tenir des assises régionales et nationales ? La réponse est que la réconciliation nationale ne doit pas être l’affaire des seuls politiciens et ne se limiter qu’à des arrangements politiques.
Une fois la vision, les orientations stratégiques et la réflexion sur les questions de fond effectuées, précisées et affinées et arrêtées au forum, elles ont besoin de descendre au niveau des couches populaires pour être expliquées, réajustées et validées avant de revenir au forum pour être définitivement transcrites sous la forme d’un modèle de réconciliation nationale, avec ses mécanismes et démarches de mise en œuvre pour assurer une paix durable, restaurer l’autorité de l’État, l’engagement citoyen de vivre une nouvelle citoyenneté conforme aux nouveaux principes actés de façon consensuelle.
- QUELLE JUSTICE POUR UNE RÉCONCILIATION ET UNE PAIX SOCIALE DURABLES AU BURKINA FASO ?
A l’instar d’autres pays qui ont connu ou qui connaissent des moments de crises ou de conflits dans leur histoire, la réconciliation nationale au Burkina Faso se présente comme un processus visant à panser les plaies, à consolider la cohésion nationale afin d’accroitre les chances de construction d’un avenir commun, paisible et radieux. Il appartient aux burkinabè de trouver les meilleurs chemins pour bien mener la réconciliation nationale afin de faire face aux immenses défis de renforcement de la cohésion nationale et du développement.
Le processus de réconciliation nationale est un mécanisme et une démarche complexes. Et cette complexité est une preuve supplémentaire de l’impérieux devoir pour tous les acteurs, pour tous les partenaires, et pour chaque burkinabè, de s’y impliquer, de s’y investir avec sincérité et détermination.
Dans ce contexte la création d’un mécanisme chargé de la mise en œuvre de la réconciliation en se basant sur le recours à la justice transitionnelle semble être la meilleure option. Il s’entend que la justice transitionnelle aurait pour objectif « d’engager des processus de pardon et de réconciliation reposant non pas sur une justice classique mais sur une justice alternative ». Le problème pourrait être traité par:
La création d’une commission chargée de la justice transitionnelle sur le modèle Sud-africain ou tout autre adapté à notre contexte national, pour conduire le processus ;
L’implication forte de l’Assemblée nationale pour faciliter la mise en œuvre du processus en raison de son rôle primordial dans la phase législative.
La démarche ici consiste à faire un diagnostic critique de la situation socio-politique de notre pays et de montrer en quoi la justice transitionnelle peut être une voie vers la réconciliation nationale dans le contexte historique actuel, ensuite quels sont les mécanismes de justice transitionnelle appropriés pour le Burkina Faso et enfin quel peut être au plan institutionnel, l’instrument à mettre en place pour la conception et l’opérationnalisation de la réconciliation nationale.
- Situation diagnostique et nécessité de la justice transitionnelle
1) Le diagnostic
– Aujourd’hui, la réconciliation nationale demeure un enjeu majeur pour le Burkina Faso. L’histoire politique du pays a créé des soubresauts et de nombreuses victimes exigent justice et réparation. Les crises, que la société burkinabè traverse, reflètent donc le fossé qui existe entre les citoyens entre eux mais aussi entre l’Etat et les citoyens. La problématique de la crise de l’Etat mérite donc d’être réexaminée. Il s’agit de repenser l’Etat pour l’adapter aux réalités locales, car tant que cette crise de confiance entre l’administration et les communautés n’est pas résolue, il n’est pas possible d’envisager l’avenir avec sérénité.
– Il n’existe pas à ce jour dans la société burkinabè un consensus national ni sur la nécessité de la réconciliation nationale ni sur la stratégie concrète pour opérationnaliser cette réconciliation nationale. Cela constitue un défi majeur car si les forces vives ne s’accordent pas sur ces préalables, il est illusoire de penser faire des progrès sur cette problématique dont l’importance n’est plus à démontrer. L’Etat et les autres acteurs de la société politique et civile doivent être convaincus de la nécessité de la réconciliation nationale et faire tout le nécessaire pour que toute la société partage cette vision.
– Il y a une incertitude sur la doctrine officielle de l’Etat sur la justice transitionnelle. Certes le HCRUN a été installé avec pour mission de mettre en œuvre les recommandations du rapport général de la Commission de Réconciliation Nationale et des Réformes (CRNR), mais aucun acte officiel n’entérine la doctrine proposée par la CRNR ;
– L’offre politique en matière de justice transitionnelle est relativement pauvre: la CODER et le HCRUN sont actuellement porteurs d’offre politique sur cette question, mais il reste à concrétiser et harmoniser les différentes démarches en vue d’aboutir de manière consensuelle
à une doctrine de justice transitionnelle. A ce propos, il appartient au Président du Faso, garant
de l’unité nationale, de prendre des initiatives stratégiques.
– La réconciliation nationale est un processus de longue haleine, elle demande de la patience et un travail sur la longue durée. La prise en compte de cette dimension implique de rompre avec la précipitation et de penser des politiques durables ; à ce titre, il est nécessaire de protéger la politique de Réconciliation Nationale contre les aléas de la concurrence électorale et des alternances politiques;
– Le processus de justice transitionnelle peut intégrer plusieurs approches telles que les règlements traditionnels, la justice classique (y compris internationale), les réformes politiques, etc. C’est du moins l’expérience tirée du cas du Mali suite à l’accord de paix entre le gouvernement malien et les mouvements armés du nord, ainsi que celui de la RDC à la suite des conflits armés consécutifs à la chute du régime Mobutu ;
– La réconciliation nationale est tributaire de l’appropriation du processus par l’ensemble des couches de la société ; tant que les populations ne font pas de la réconciliation leur propre affaire, il sera difficile qu’un tel processus puisse prospérer. Il importe donc d’éviter un processus
élitiste ou top-down, sans ancrage social. La réconciliation nationale doit être bâtie sur un large
consensus.
– La réconciliation nationale nécessite un schéma organisationnel bien élaboré ainsi que des ressources matérielles, financières et humaines en qualité et en quantité. Dans le cas du Burkina, l’institution en charge de la réconciliation, le HCRUN, mérite d’être prévue pour relever ce défi historique ; en effet, cette institution a du mal à asseoir sa légitimité et à enclencher un véritable processus de réconciliation nationale.
– La crise de la justice et de la cohésion nationale au Burkina Faso, du fait de son déficit de légitimité, de l’interférence du politique et des forces de l’argent, est aussi marquée par l’existence de juridictions d’exception (comme la justice militaire) et à visage politique (comme la Haute Cour de Justice).
Au regard de ce diagnostic, l’urgence d’enclencher un véritable processus de réconciliation nationale, seul gage de paix et de progrès au Burkina Faso, s’impose.
2) La justice transitionnelle : une voie vers la réconciliation nationale
La justice transitionnelle parfois aussi dénommée « justice de transition » ou « justice en transition », désigne un ensemble de mesures judiciaires et non judiciaires permettant de remédier au lourd héritage des abus des droits humains dans les sociétés qui sortent d’un conflit armé ou d’un régime autoritaire. Son principe est qu’en faisant la promotion des valeurs du pardon, on multiplie les chances de la société de revenir à un fonctionnement pacifique et démocratique. Les quatre droits reconnus aux victimes par la justice transitionnelle sont : le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation et la garantie de non-répétition des crimes passés.
Il importe de faire la distinction entre la justice institutionnelle et la justice transitionnelle. La première notion renvoie à la justice classique ancrée dans l’Etat de droit démocratique, c’est une justice permanente. Par contre, la justice transitionnelle est temporaire et exceptionnelle. Cette justice transitionnelle n’utilise pas toujours les mêmes principes que la justice institutionnelle. C’est une justice de crise qui ne priorise pas forcément la sanction des auteurs de crimes, et elle vise la manifestation de la vérité et la réconciliation nationale. Dans les situations post-conflit, les deux types de justice sont souvent utilisés de manière concomitante et peuvent donc se compléter. La justice transitionnelle permet de régler des situations de crise que la justice institutionnelle ne peut pas résoudre, ainsi que le montrent les cas du Rwanda et de l’Afrique du Sud.
L’option pour la justice transitionnelle découle donc de la nécessité absolue d’inventer un modèle endogène de justice alternative de réconciliation nationale adapté au contexte burkinabè tout en s’inspirant des expériences d’ailleurs. Un tel modèle devrait s’inspirer sinon s’appuyer sur les valeurs traditionnelles africaines fondées sur le consensus comme mode de régulation des différends sociopolitiques;
Ce choix reconnait et valorise l’importance d’une démarche participative, inclusive et responsable dans la construction d’un Burkina nouveau, fondé sur la cohésion sociale et le dialogue fécond ;
Il est un instrument approprié face aux dangers de l’incivisme ambiant et du déficit de dialogue social et politique qui apparaissent comme des défis majeurs à relever par le Burkina Faso post insurrectionnel pour amorcer son renouveau démocratique ;
- Quels mécanismes de justice transitionnelle pour une consolidation de la paix sociale ?
En janvier 2015, le gouvernement de transition avait mis en place une Commission pour la Réconciliation Nationale et les Réformes (CRNR), disposant du mandat de proposer les outils et suggérer les réformes nécessaires en vue d’un renouveau national sur les cinq chantiers prioritaires de la Nation burkinabé, que sont:
la vérité, la justice et la réconciliation nationale ;
les réformes constitutionnelles, politiques et institutionnelles ;
la réforme électorale ;
les finances publiques et le respect du bien public ;
la gestion des médias
Le Gouvernement du Burkina Faso, en collaboration avec ses partenaires et notamment le Système des Nations Unies, s’est engagé à faire face aux défis de la réconciliation nationale, de stabilité, de consolidation de la paix et du développement du pays. C’est ainsi que des actions sont engagées en vue, entre autres, de la réconciliation et de l’unité nationale.
C’est également dans ce cadre que le Conseil National de Transition (CNT) a approuvé, le 6 novembre 2015, la création du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale, (HCRUN). Ses membres ont été officiellement installés le 22 mars 2016. La création de cette institution avait
été une recommandation centrale dans le rapport final de septembre 2015 de la Commission de la Réconciliation Nationale et des Réformes (CRNR), une institution créée dans la Charte de transition et chargée « d’établir les fondations d’une nation véritablement démocratique, juste, libre et inclusive ».
Mais la nécessité d’adopter un scénario ou un modèle consensuel de justice transitionnelle s’impose. En effet, le Burkina Faso a connu plusieurs modèles dont le plus connu est la Commission Vérité Justice et Réconciliation du Collège des Sages de 1999. Dans la mise en œuvre de ce schéma qui s’est matérialisé par la journée nationale de pardon en 2001, l’accent a été mis sur le pardon et les réparations. Mais le débat s’est ensuite focalisé sur les conditions nécessaires et indispensables pour une véritable réconciliation nationale. Le pardon simple suffit-il ? Où faut’il en plus, punir les auteurs des crimes commis durant ces quarante années ?
Les partisans de la trilogie « vérité, justice et réconciliation » affirment que le châtiment des fautes n’exclut pas la réconciliation. Selon eux, la réconciliation est l’aboutissement d’un processus et non le début. Pour les partisans du pardon, la réconciliation n’exclut pas le châtiment des fautes. Il faut, selon eux, asseoir d’abord la paix, donc le pardon, avant toute quête de justice.
Ce débat traduit la méfiance et la tension qui subsistent entre certains acteurs de la scène socio-politique burkinabé. En tout état de cause, ce débat vient, montrer si besoin en était que la réconciliation sociale est un passage obligé vers le processus de maturation de la démocratie burkinabé.
Mais pour les autorités, la journée nationale de pardon est la quête d’un pardon qui ne met pas un terme à la recherche de la justice, ni une entrave à la manifestation de la vérité. Elle n’est pas une finalité en soi, mais bien une étape indispensable de réflexion, d’introspection et de résolution pour un nouveau départ.
Cette option semble pertinente dans la mesure où si, pour des crimes récents, il est plus facile de rassembler des preuves et de rechercher les coupables, il est plus difficile de le faire lorsque les faits ont pris de l’âge et les éléments de preuves difficiles à établir. Certes, cette difficulté n’est pas insurmontable, mais elle est encore rendue plus difficile lorsque certains auteurs de l’époque sont aux commandes de l’appareil d’Etat. Ce n’est pas chose aisée que de faire son propre procès.
Il est évident que non seulement la vérité sera toujours celle des juges du pouvoir, et cela prendra des années et des années pour dire cette vérité partielle, dans la mesure où cela implique le jugement de tous les criminels jusqu’à épuisement de la procédure judiciaire (appel, cassation). Il y a aussi le risque que certains crimes soient prescrits au moment où leurs auteurs sont découverts. Il est donc important que la manifestation de la vérité se fasse rapidement. Le retour sur le passé est toujours difficile mais plus l’écart entre les faits et leur établissement grandit, plus il devient difficile de se souvenir et de relater des faits de façon précise
S’agissant de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR), elle est appréhendée comme une commission juridique ou non juridique mise en place dans le cadre de la justice transitionnelle après des périodes de troubles politiques, guerres civiles, de dictature ou de répression politique . Elle œuvre dans un esprit de réconciliation nationale. Bien qu›il y ait de fait une certaine diversité d’organisation, ce type d›organisme peut en général faire procéder à des enquêtes ou bénéficier de moyens d›investigation propres. Elle cherche à reconnaître les causes de la violence, à identifier les parties en conflit, à enquêter sur les violations des Droits de l’homme et à établir les responsabilités juridiques qui en découlent. L›objectif est d›aider les sociétés traumatisées par la violence à faire face à leur passé de façon critique, afin de sortir de leurs crises profondes et d’éviter que de tels faits ne se reproduisent plus jamais.
Concrètement, les victimes sont invitées à s’exprimer devant un forum afin de leur permettre de retrouver la dignité. Quant aux auteurs d’exactions, ils sont appelés à avouer leurs forfaits et à exprimer leur repentir devant les victimes ou familles concernées. Des Commissions de vérité et de réconciliation ont été mises en place dans de trente pays, notamment en Afrique du Sud, mais
également dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’Amérique du Sud, et plus récemment au
Timor oriental, au Mali, en Tunisie et au Canada.
L’on peut donner également l’exemple de la commission «Dialogue, vérité et réconciliation
» qui a surtout été expérimentée en Côte d’ivoire. Il s’agit du mécanisme de justice transitionnelle mis en place à l’issue de la guerre civile dans ce pays entre 2002 et 2011. Les axes stratégiques
étaient le droit à la vérité et le droit à la réparation. Elle avait pour missions, entre autres, de créer la manifestation de la vérité, proposer des mécanismes de réparation, etc.
Mais si un tel processus est amorcé, il reste que des divergences existent quant aux mécanismes de la justice transitionnelle à mettre en œuvre.
C’est ainsi que certains acteurs (partis politiques et OSC) se demandent si le Faso a besoin d’une justice transitionnelle. Autrement dit, le mal burkinabè est-il si profond que la situation exige des solutions exceptionnelles ? Il n’existe donc pas encore de consensus sur la question.
S’agissant des dossiers de crimes économique et de sang, certains acteurs estiment qu’un travail de classification doit être fait pour savoir quels sont les dossiers de justice qui nécessitent une justice transitionnelle, et quels sont ceux qui doivent être gérés par la justice institutionnelle classique.
En outre, l’incapacité de certains acteurs à mettre l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers ou partisans est une des contraintes de mise en œuvre de la justice transitionnelle. Or, c’est lorsque les différentes composantes de la société vont s’accorder sur des valeurs communes que le pays peut enclencher un véritable processus de justice transitionnelle.
- Les mécanismes institutionnels de conception et d’opérationnalisation de la réconciliation nationale
Dans tous les pays où l’on a eu recours à la justice transitionnelle, l’Assemblée nationale a toujours été incontournable pour des raisons évidentes.
Non seulement, c’est elle qui crée par la loi, les instruments chargés de cette justice transitionnelle axée sur la compassion, la vérité, le pardon, la justice réparatrice, la réconciliation, mais c’est elle qui veille aux conditions matérielles, financières, techniques propres à assurer à ces mécanismes les dispositions pour leur bon fonctionnement. C’est également à elle qu’il revient en bout de course de veiller à la mise en œuvre des décisions de ces instruments en votant les lois subséquentes. En Tchécoslovaquie, en Afrique du Sud, au Mali, en Guinée, les Assemblées nationales ont été, sont ou seront, au centre de cette dynamique.
CONCLUSION
Le Burkina Faso est un pays relativement stable mais dans la réalité, la société burkinabè est traversée par une crise profonde larvée et latente qui peut dégénérer à tout moment et devenir un conflit ouvert. Il importe donc que les Burkinabè prennent la mesure de cette crise multidimensionnelle jamais égalée et reconnaissent que la réconciliation nationale est une nécessité impérieuse et un impératif catégorique.
Le Burkina Faso a besoin d’une situation de paix durable et véritable. Aucun pays raisonnablement gouverné, ne peut, au sortir d’une crise majeure, espérer reconstruire le tissu social et enclencher les mécanismes de la croissance sans le préalable des mesures de réconciliation nationale. C’est pourquoi il est plus qu’urgent d’œuvrer à remettre tous les fils et filles de ce pays en confiance, et seule la réconciliation nationale et le pardon peuvent recréer les conditions de restauration de cette confiance, facteur de la cohésion sociale et nationale. Une réconciliation nationale acceptée et partagée pour tous les fils et filles de la nation autour d’un même objectif, la construction d’une société de paix, de tolérance, de justice et d’engagement collectif à réaliser le développement.
Pour ce faire, il faut s’en remettre à un diagnostic et à une thérapeutique établis par le peuple lui-même à travers un nouveau contrat de vivre ensemble, pour réaliser cette réconciliation à laquelle aspirent tous les burkinabé, en utilisant une démarche prudente, méthodique, inclusive et participative.
Dans la voie à suivre pour y parvenir, il n’y a pas de modèle type ni de solution clé en main. Dans ce domaine chaque pays décide en fonction de ses réalités et des sensibilités nationales.
La réconciliation nationale se traduira par des retrouvailles nationales à travers un forum et des assises mettant les burkinabè entre eux et face à leurs responsabilités. En revisitant l’histoire du Burkina Faso, on observe que le peuple burkinabè a toujours puisé dans son patrimoine endogène pour relever les défis auxquels il fait face. Le dialogue, la vérité, la justice et la réconciliation dans les sociétés traditionnelles et les communautés religieuses sont des mécanismes suffisamment connus des burkinabè. Le Burkina Faso regorge d’un patrimoine culturel très riche qui peut lui permettre de résorber les crises de confiance qu’il traverse aujourd’hui. Des valeurs telles que la non-violence, le pardon, la tolérance, le patriotisme et la solidarité sont des repères importants à mettre en évidence. La réconciliation nationale doit être sincère et consensuelle et faire l’objet de l’appropriation par tous.
JUSTIC E – RECONCILI ATIO N – PAI X
28 Février 2018