A une semaine de la réunion du G20, les tensions entre les Etats-Unis et la Russie se multiplient. Mardi dernier un avion russe Tu-154 VIP a été intercepté par des avions de l’OTAN au-dessus de la mer Baltique. Le lundi, c’est le sous-marin Yuri Dolgoruky qui a procédé à des tests de lancement de missile intercontinental. Du côté américain, la politique étrangère est régulièrement jugée imprévisible. Alors qu’une rencontre Trump-Poutine est envisagée en marge du G20, quel état des lieux peut-on faire de la situation actuelle ?
Quels sont les risques de voir les deux nations s’opposer directement ?
Jean-Bernard Pinatel : Les analystes sont aujourd’hui dans l’incertitude sur la politique étrangère de Trump. En effet, durant la campagne pour l’élection présidentielle Trump avait clairement indiqué qu’il souhaitait s’entendre avec Poutine car son ennemi principal était Daech. Depuis lors, il semble que le lobby militaro-industriel ait repris le contrôle sur Trump. En effet le gigantesque complexe militaro-industriel américain, dénoncé dans une adresse radio-télévisée à la nation américaine en avril 1953 par le Président Eisenhower comme une menace pour la démocratie, a besoin d’un état de tension dans le monde pour justifier aux yeux des citoyens américains les sommes fabuleuses annuelles de 600 milliards de dollars qu’ils payent chaque année avec leurs impôts. La preuve de cette reprise de contrôle sur Trump : il vient d’annoncer qu’il allait augmenter en 2017 le budget de la Défense de 9% soit 54 milliards de dollars, c’est-à-dire d’une somme équivalente au budget militaire de la France.Cette somme représente à elle seule les deux tiers du budget militaire annuel de la Fédération de Russie. Les provocations américaines via l’OTAN comme l’interception d’avions russes dans l’espace aérien international sont destinées au public américain qui ignore dans sa grande majorité les réalités internationales. Cela dit le concurrent potentiel des Etats-Unis en termes de leadership mondial n’est pas la Russie mais la Chine. En effet le budget militaire russe ne représente que 13% du budget américain et son PIB est au 12ème rang mondial derrière celui de la Corée du Sud. En revanche la Chine avec le second PIB mondial possède un budget militaire en forte croissance qui représente déjà 42% du budget US (250 milliards de dollars).Cela dit, la Russie a une force de dissuasion nucléaire qui interdit toute escalade aux extrêmes avec les Etats-Unis mais cela n’exclut pas des tensions et des confrontations locales là où les enjeux ne sont pas vitaux pour les deux puissances.
Quels sont les liens à établir entre cette hausse des tensions et la situation géopolitique au Moyen-Orient ? Notamment avec l’échec des Etats-Unis sur le dossier syrien et les tensions entre le Qatar et l’Arabie Saoudite ?
Jean-Bernard Pinatel : Trump avait déclaré durant la campagne électorale « sans notre protection, l’Arabie saoudite ne survivrait pas une semaine ». Les saoudiens ont compris le message et lors de la visite de Trump à Riyad les 20 et 21 mai derniers ils ont ouvert largement leur bourse pour acheter leur sécurité. En effet, le ministre saoudien des Affaire étrangères,en clôture de la visite du président américain, a annoncé des contrats immédiats et à venir d’un montant de 380 milliards de dollars (340 milliards d’euros) dont 110 milliards de contrats militaires. Trump,le business man, contre des espèces sonnantes et trébuchantes,a clairement adopté la ligne traditionnelle des républicains : l’alliance avec les sunnites contre l’Iran chiite soutenu par la Russie. Ces deux derniers pays qui possèdent des intérêts communs en tant que riverains de la mer Caspienne détiennent avec le Qatar 50% des réserves mondiales prouvées de gaz naturel. Par ailleurs l’Iran soutient l’Irak à dominante chiite et la Syrie où la Russie possède la base navale de Tartous. Il y existe une concurrence géopolitique d’influence traditionnelle entre la Russie et les anglo-saxons dans cette région du monde où la politique de retrait d’Irak et de réserve d’Obama sur le dossier Syrien a permis le retour en force de l’influence russe.
Quels seraient les prochaines étapes envisageables dans l’optique d’une confrontation ? Quelles sont, pour les deux nations, les lignes rouges à ne pas franchir ?
Jean-Bernard Pinatel : La prochaine étape envisageable, mais le pire n’est jamais le plus sûr, est une désinformation identique à celle que Bush junior avait utilisé pour envahir l’Irak. C’est de dénoncer l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien. Notons que Trump a déjà commencé à utiliser ce prétexte puisque dans la nuit du 6 au 7 avril il a ordonné des frappes contre une base syrienne seulement deux jours après l’attaque chimique de la ville de Khan Cheikhoun qu’il a imputée, évidemment sans preuve (Il est impossible pour un service secret dans un délai aussi court d’avoir recueilli des preuves sur le terrain à moins d’être partie prenante de cette affaire), à l’armée syrienne. Or on sait qu’Al Nosra (Al Qaïda) a utilisé l’arme chimique fournie par Erdogan pour essayer entraîner les occidentaux à entrer en guerre contre Assad. Or il est évident qu’aujourd’hui Assad avec l’aide de la Russie a rétabli la situation militaire et n’a aucun intérêt à s’attirer la réprobation mondiale alors que plus aucun analyste sérieux ne pense qu’il puisse être exclu d’un règlement de la crise syrienne. Je veux rendre ici hommage au courage et à la clairvoyance de notre nouveau Président Emmanuel Macron car bravant les bonnes consciences bobo comme BHL, dont Hollande subissait l’influence, a déclaré à juste titre qu’il « ne voyait pas de successeur légitime à Assad », démontrant ainsi le pragmatisme qui doit être la règle dans les relations internationale pour défendre et promouvoir les intérêts de la France. Néanmoins sur le dossier syrien un coup de théâtre est toujours possible. Souhaitons qu’il soit positif et qu’il découle d’une rencontre Trump-Poutine le 8 ou le 9 juillet 2017.
Jean-Bernard Pinatel
Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d’intelligence économique.Il est l’auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014.
Source:atlantico.fr
05 Juillet 2017